Le rapprochement Trump-Poutine : un séisme géopolitique marquant l’avènement de la géopolitique des « hommes forts »
- Roméo Halere
- 22 févr.
- 3 min de lecture
Le 12 février 2025, un appel de 90 minutes entre Donald Trump et Vladimir Poutine a marqué un tournant dans la guerre en Ukraine et redéfini les équilibres mondiaux. Annonçant des négociations de paix « immédiates » sans consulter Kiev ou l’Union européenne (UE), le président américain a rompu avec trois ans de soutien occidental à l’Ukraine, suscitant l’inquiétude en Europe. Ce rapprochement inédit, qui s’inscrit dans une logique de realpolitik transactionnelle, bouleverse les alliances traditionnelles, marginalise l’UE et menace l’intégrité territoriale ukrainienne.

Une diplomatie unilatérale : l’Amérique de Trump évince l’Europe
Le dialogue direct entre Trump et Poutine, qualifié de « long et productif », illustre la marginalisation de l’UE dans les affaires mondiales. En contournant les Européens, Trump a balayé le principe « rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine », hérité de l’ère Biden. Le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, a accentué ce choc en déclarant « irréaliste » un retour aux frontières de 1991 pour l’Ukraine et en excluant son adhésion à l’OTAN. Ces positions, alignées sur les exigences russes, reflètent une vision où les États-Unis négocient en duo avec Moscou, reléguant l’Europe au rang de spectateur.
L’UE, bien que réunissant ses ministres des Affaires étrangères pour affirmer son rôle, peine à masquer son impuissance. Comme le souligne Dimitri Minic de l’Ifri, Trump cherche à reproduire les accords de Minsk (2015), où l’Occident avait imposé à Kiev des conditions favorables à Moscou. Cette approche unilatérale fragilise l’OTAN, dont l’article 5 (défense collective) pourrait être remis en cause si Trump retire son soutien aux Européens.
L’Ukraine face à un dilemme existentiel : résister ou capituler
Pour Kiev, le rapprochement Trump-Poutine équivaut à un « cauchemar éveillé ». Les déclarations américaines sapent ses revendications territoriales et sa souveraineté. Volodymyr Zelensky, qui a proposé en vain un échange de territoires, se retrouve isolé : Trump évoque des élections en Ukraine sous pression russe, tandis que Moscou exige un changement de régime. L’expert Neil Melvin résume la situation : « Poutine veut une Ukraine neutralisée, démilitarisée et privée de Crimée ».
Les options de Kiev sont limitées. Refuser un accord imposé par Washington et Moscou prolongerait une guerre coûteuse sans garantie de soutien occidental. L’accepter signerait une capitulation, avec des risques de troubles internes, voire de coup d’État. Les propositions de Trump, perçues comme des « cadeaux à Poutine », pourraient aussi encourager la Russie à poursuivre son expansionnisme, comme le craignent les pays baltes et la Pologne. Emmanuel Macron le résume ainsi, dans une interview du Financial Times, affirmant être « contre une paix qui serait en réalité une capitulation de l’Ukraine ».
L’UE confrontée à son impuissance stratégique
Exclue des négociations, l’UE tente de réagir. Emmanuel Macron évoque un sommet européen d’urgence, tandis que Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, insiste sur la nécessité d’inclure Kiev. Cependant, les divisions persistent : l’Allemagne critique les concessions américaines, la France plaide pour une défense européenne autonome, et la Pologne exige un soutien ferme à l’Ukraine.
L’enjeu est de taille : sans le parapluie américain, l’UE doit accélérer son intégration militaire. Volodymyr Zelensky appelle à la création d’une « force armée européenne », mais les budgets restent insuffisants. L’UE pèse 25 % des dépenses militaires mondiales, mais manque de coordination. Par ailleurs, Trump menace d’imposer des droits de douane sur les exportations européennes, accentuant les tensions économiques. L’UE doit « avoir les neurones et les tripes » pour défendre ses intérêts, mais son manque de vision commune la rend vulnérable.
Conclusion : Vers un nouvel ordre mondial ?
Le rapprochement Trump-Poutine marque l’avènement d’une géopolitique des « hommes forts », où les alliances multilatérales cèdent la place à des deals bilatéraux. Pour l’Ukraine, c’est le risque d’une paix imposée ; pour l’UE, un signal d’alarme stratégique. Si Trump réussit à conclure un cessez-le-feu, celui-ci risque d’être fragile, car Poutine, en position de force, pourrait relancer les hostilités. L’UE, en retard dans sa prise de conscience, doit urgemment renforcer son autonomie – sous peine de devenir un acteur secondaire dans un monde dominé par les rivalités sino-américaines et les ambitions russes. Comme le résume Der Spiegel, « le siècle américain de l’Europe est révolu ». Reste à savoir si les Européens sauront en tirer les leçons.
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