Accord UE-Mercosur : entre avantages stratégiques et préoccupations françaises
- Bastien Vitally
- 24 nov. 2024
- 5 min de lecture
Alors que la mobilisation des agriculteurs français s’intensifie, un accord entre l’Union européenne et le Mercosur semble de plus en plus probable. La France, isolée au sein de l’UE, tente de freiner les négociations pour protéger ses agriculteurs d’une concurrence jugée déloyale. Malgré les déclarations fermes du président Emmanuel Macron, qui affirmait encore le 17 novembre 2024 qu’il « ne signerait pas cet accord en l’état », les discussions progressent sous l’impulsion d’Ursula von der Leyen, déterminée à conclure cet accord lors des prochaines échéances diplomatiques.
Si cet accord est critiqué par la France et de nombreuses ONG pour ses potentielles conséquences environnementales et sociales, il offre aussi des avantages stratégiques, notamment pour l’Europe, qui cherche à diversifier ses partenariats commerciaux et à renforcer sa position économique sur la scène internationale.
Quels sont les avantages et les inconvénients de cet accord, les étapes encore nécessaires à son application, et ses perspectives d’évolution ?

En déplacement en Argentine le 17 novembre, Emmanuel Macron a réaffirmé que la France comme l'Argentine de Milei n'étaient pas satisfaites de l'accord entre le Mercosur et l'Union européenne.
Un accord UE-Mercosur : une bouffée d'oxygène pour une économie européenne fragilisée
Cet accord pourrait représenter une opportunité majeure pour une Europe en perte de vitesse économique à la suite des multiples crises qui ont ébranlé le continent ces dernières années. En effet, l’Union européenne se retrouve prise en étau entre, d’un côté, la pression croissante de la Chine, qui monopolise le marché asiatique à travers des accords bilatéraux, et, de l’autre, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Ce dernier, fidèle à son approche protectionniste, pourrait compromettre l’avenir des relations commerciales transatlantiques en favorisant les intérêts américains.
Dans ce contexte incertain, l’Europe cherche désespérément à diversifier ses partenaires commerciaux. Les options, cependant, se réduisent. Les relations avec l’Afrique, marquées par un passé colonial, se sont tendues, notamment pour la France. L’Amérique du Sud, en revanche, se présente comme un partenaire stratégique de premier plan. L’accord avec le Mercosur, qui regroupe le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie, viserait à supprimer la quasi-totalité des droits de douane entre les deux blocs. Si cet accord venait à aboutir, il deviendrait le plus grand traité de libre-échange jamais signé par l’Union européenne, touchant 780 millions de personnes et représentant entre 40 et 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations.
Les avantages économiques sont nombreux. Cet accord offrirait de nouveaux débouchés à une industrie européenne en difficulté, notamment celle de l’Allemagne, dont la compétitivité repose sur les exportations. Les secteurs des vins, spiritueux, produits laitiers et chocolats pourraient également tirer profit de la libéralisation des échanges, grâce à une réduction significative, voire une suppression totale, des droits de douane – actuellement de 27 % pour le vin.
L’industrie automobile européenne, qui fait face à des défis structurels, espère également bénéficier de l’élimination progressive des droits de douane de 35 % appliqués aux véhicules exportés vers les pays du Mercosur. Par ailleurs, les 400 indications géographiques protégées (IGP) européennes, comme le jambon de Bayonne ou le comté, seraient reconnues, offrant un avantage concurrentiel non négligeable sur ces marchés en pleine expansion.
L’accord renforcerait également l’accès des entreprises européennes aux marchés publics du Mercosur, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’eau et l’énergie. Enfin, dans un contexte de transition écologique, cet accord pourrait sécuriser l’approvisionnement européen en matières premières critiques, telles que le lithium, le cuivre, le fer ou le cobalt, dont l’Amérique du Sud regorge.
Les limites de l’accord : concurrence déloyale et impact environnemental
Si l’accord UE-Mercosur promet des bénéfices économiques et stratégiques, il n’est pas exempt de critiques, particulièrement en France. Le principal point d’inquiétude réside dans le risque de concurrence déloyale pour les agriculteurs européens. Les producteurs sud-américains, notamment au Brésil, ne sont pas soumis aux mêmes réglementations strictes que leurs homologues européens, qu’il s’agisse de l’utilisation d’hormones, d’OGM ou de normes environnementales.
Dans ce contexte, l’agriculture française, déjà fragilisée par une réduction des aides de la Politique agricole commune (PAC) – dont 35 % sont désormais conditionnées au respect de normes environnementales – redoute cet accord. Ce dernier pourrait affaiblir la compétitivité des exploitations européennes et, à terme, mettre en péril l’indépendance alimentaire du continent. Parmi les mesures prévues, les éleveurs sud-américains pourraient exporter chaque année en Europe jusqu’à 160 000 tonnes de viande bovine à droits de douane réduits ou nuls. Bien que ce volume puisse sembler modeste au regard des 6,4 millions de tonnes de viande bovine produites chaque année dans l’UE, il représente près de la moitié des importations européennes actuelles, qui s’élevaient à 351 000 tonnes en 2023, dont 196 000 tonnes provenaient déjà des pays du Mercosur.
Outre les inquiétudes économiques, l’impact environnemental de cet accord suscite de vives critiques. En 2020, un rapport mené par une commission d’experts dirigée par l’économiste de l’environnement Stefan Ambec a estimé que l’accord pourrait accélérer la déforestation en Amazonie de 5 % sur les six années suivant son entrée en vigueur, soit environ 700 000 hectares supplémentaires détruits. Cet impact serait aggravé par les émissions de CO2 associées, dont le coût global, évalué à 250 dollars par tonne, dépasserait les bénéfices économiques attendus de l’accord.
Bien que l’accord UE-Mercosur présente des avantages significatifs, ses limites environnementales et concurrentielles en atténuent la portée. Les produits sud-américains devront certes respecter certaines normes, mais ces exigences restent minimales et souvent difficiles à contrôler.
Avant son application, des étapes encore majeures
Deux obstacles majeurs se posent : d’une part, l’absence de « clauses miroirs » dans le traité empêche l’Union européenne d’exiger des producteurs sud-américains qu’ils respectent des règles identiques à celles imposées aux agriculteurs européens. Cette lacune, dénoncée notamment par la France, réduit la portée des normes environnementales et sanitaires. D’autre part, en pratique, le contrôle à l’importation des produits reste problématique. Détecter des substances interdites, comme les hormones de croissance ou les antibiotiques, demeure complexe et repose largement sur la confiance accordée aux producteurs. Or, un audit récent de la Commission européenne a révélé que le Brésil n’est pas en mesure de garantir que la viande rouge exportée vers l’UE est exempte de substances interdites.
Enfin, bien que la signature de l’accord semble imminente, son entrée en vigueur nécessitera encore plusieurs étapes complexes. L’intégralité du texte devra être soumise à la procédure de ratification, impliquant un vote à l’unanimité des États membres, suivi d’un vote au Parlement européen et de ratifications nationales, comme celle par l’Assemblée nationale et le Sénat en France. La Commission européenne pourrait toutefois choisir de détacher le volet commercial de l’accord pour une adoption séparée, celui-ci relevant de sa compétence exclusive.
Ainsi, l’avenir de cet accord reste incertain. Entre opportunités économiques et défis environnementaux, il devra surmonter de nombreux obstacles avant de devenir une réalité. Reste à savoir si l’Europe pourra trouver un équilibre entre compétitivité économique et responsabilité écologique.
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