Démission de Justin Trudeau au Canada : le revers de la médaille d’un premier ministre moderniste à tout prix
- Ariana Bergot
- 13 janv.
- 4 min de lecture
Ce lundi 6 janvier, le premier ministre canadien Justin Trudeau, âgé de 53 ans, annonce au monde entier sa démission après plus de dix années à la tête du gouvernement. Alors que ce dernier se présentait comme définitivement moderniste sur le plan social, engagé dans la défense des droits environnementaux et libéral sur le plan économique, comment expliquer une chute de popularité telle que conduisant à sa démission ?

Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé sa démission devant Rideau Cottage, à Ottawa, le lundi 6 janvier 2025.
Retour sur dix années à la tête du gouvernement
En 2015, Justin Trudeau incarne incontestablement un vent de renouveau politique. Chef du parti libéral, il promet une politique axée sur la protection et la promotion des droits sociaux, environnementaux de tous les Canadiens mais aussi des indigènes ainsi que la défense de l’égalité homme-femme. Sur ces questions sociales, la promesse a été globalement tenue : signature de l’accord de Paris dès 2015 faisant du Canada un des acteurs clé de cet accord ; instauration d’une taxe carbone malgré les oppositions régionales ; investissements massifs dans les énergies vertes ; réconciliation avec les peuples autochtones en particulier avec la loi sur les langues autochtones de 2019 ; cabinet ministériel paritaire créé en 2015 ; mise en place d’une politique d’accueil des migrants et réfugiés en particulier syrien ; renforcement de la reconnaissance des droits des personnes LGBTQ+ ; soutien à la classe moyenne par des réductions d’impôts ; investissements publics massifs.
Néanmoins, si le premier ministre s’affirme comme un des leaders les plus populaires sur la scène politique occidentale, la situation interne est bien distincte. En effet, il a suscité de nombreuses controverses suite à différents scandales éthiques (affaire SNC-Lavalin, We Charity) mais aussi suite à sa gestion parfois jugée incohérente entre ses ambitions progressistes et ses actions concrètes (soutien des projets controversés de pipeline comme Trans Mountain pour concilier économie et écologie). Par ailleurs, après dix ans au pouvoir, le scepticisme au sein de l’opposition politique et des électeurs s’explique aussi par une usure du pouvoir.
L’origine de la crise politique actuelle
La décision de Justin Trudeau de démissionner de son propre parti fait suite à des mois de pression politique au sein des Libéraux. Lundi, le premier ministre a donc demandé au gouverneur général Mary Simon – le représentant du roi Charles au Canada- de suspendre le parlement jusqu’au 24 mars, pour que le parti puisse choisir un nouveau leader.
Mi-décembre, l’image du Premier Ministre avait déjà été largement affectée par la démission de la ministre des Finances Chrystia Freeland, auparavant très proche de ce dernier. La situation économique critique actuelle (haute inflation depuis la crise du Covid, augmentation des prix de l’immobilier …) participe aussi aux contestations internes. S’ajoute à cela une anxiété croissante face au sujet de l’immigration, instrumentalisé par les opposants politiques, en particulier par le parti conservateur.
Par ailleurs, cette décision intervient dans un contexte de tensions accrues avec les États-Unis, où le président réélu, Donald Trump, a exprimé des intentions provocatrices envers le Canada, notamment en suggérant une "fusion" des deux pays et en menaçant d'augmenter drastiquement les droits de douane. Trudeau avait tenté de se positionner comme un homme expérimenté dans ses relations avec Donald Trump, en se rendant de manière inattendue à Mar-a-Lago en novembre après que le nouveau président eut menacé d'imposer des tarifs sur les produits canadiens. Souvent discrédité et violemment moqué par Donald Trump dans ses discours – avec le ton populiste que l’on lui connaît – Justin Trudeau a incontestablement souffert de ces moqueries sur le plan international.
Les perspectives pour la suite
Sur le plan intérieur, le départ de Trudeau ouvre la voie à une recomposition politique. Le Parti conservateur, dirigé par Pierre Poilievre, gagne en popularité. Poilievre est souvent comparé à Donald Trump pour son style populiste et ses critiques acerbes des élites politiques et médiatiques. Il prône notamment la réduction des taxes, y compris la taxe carbone instaurée par le gouvernement Trudeau, mais adopte une posture pro-immigration, contrairement à Trump.
Chrystia Freeland est pressentie pour la succession à la tête du parti libéral. Elle est connue pour sa rigueur intellectuelle, son pragmatisme et sa capacité à gérer des dossiers complexes. Freeland est aussi perçue comme une figure progressiste, défendant des politiques inclusives et axées sur la classe moyenne, tout en étant ferme sur des enjeux économiques et géopolitiques. Tout comme Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre qui a suggéré être intéressé par ce poste. Mais incontestablement, un revirement politique et une montée des conservateurs voire de l’extrême droite dans les sondages est à anticiper. Cela pourrait marquer un changement radical dans la politique canadienne, plaçant le pays dans le camp des démocraties occidentales passant du progressisme à une nouvelle ère de populisme économique et d’anti-immigration.
Malgré tout, Gerald Butts, le secrétaire principal de Trudeau de 2015 à 2019, a déclaré qu’on se souviendrait de lui comme d’un chef qui a ressuscité son parti libéral des « poubelles politiques » après une décennie dans l’opposition.
Par ailleurs, le Canada fait face à des défis diplomatiques, notamment avec l'Inde. En octobre 2024, une crise a éclaté après que le Canada a accusé des agents indiens d'être impliqués dans des activités criminelles sur son sol, entraînant une escalade diplomatique entre les deux nations.
Ces développements plongent le Canada dans une période d'incertitude politique et diplomatique. Les élections fédérales, initialement prévues pour l'automne 2025, pourraient être avancées suite à cette démission de Trudeau et de la fragilité du gouvernement minoritaire. Les prochains mois seront déterminants pour l'avenir politique du pays, tant sur le plan intérieur qu'international.
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