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Le paracolonialisme, un acte naïf?

  • Matthis Liber
  • 16 déc. 2024
  • 4 min de lecture

Seize lettres et sept syllabes c’est ce qu’il faut pour encapsuler un point de crispation essentiel de la scène internationale contemporaine. Utilisé dans les cercles militants et volontiers tourné en dérision par les médias, le terme de paracolonialisme semble de plus en plus s’imposer comme un incontournable dans le vocabulaire politique. Ces situations nombreuses, « où une nation ou un groupe exerce une domination économique et politique sur une autre entité sans pour autant la contrôler au sens administratif du terme » ; se multiplient aujourd’hui dans le théâtre géopolitique actuel. La définition de Matthieu Noël explicite l’intangible de cette branche du néocolonialisme. En interrogeant cette notion c’est l’ensemble des relations qu’entretiennent aujourd’hui les différentes nations dans la sphère géopolitique qui sont remises en cause. En effet, le paracolonialisme apparaît comme une excroissance de la dépendance coloniale. Pourtant l’œil expert de l’historienne Françoise Vergès nous montrera que le para colonialisme est avant tout une domination tacite, en prenant l’exemple du franc CFA. C’est dans ce sillage que cette notion est désormais remise en cause par des rapports de force réactualisés entre les différents pays au passé colonial. 


Françoise Vergès, à l’origine du concept de paracolonialisme
Françoise Vergès, à l’origine du concept de paracolonialisme

 

La subsistance du para colonialisme s’explique sans difficulté par le marc colonial


Ces restes dormants de la période coloniale agissent de façon latente sur les relations qu’entretiennent les nations. Les institutions mises en place sous l’ère coloniale qui continuent d’administrer des États désormais souverains posent la question d’un joug discret sur des nations libres. En 2017, Emmanuel Macron annonce à la suite de son élection qu’« il n’y a aujourd’hui plus de politique africaine de la France ». Si le verbiage est applaudi, la Françafrique, elle, demeure en fait. Le franc CFA ou la francophonie ne sont pas étrangers à leur symbolique politique. Pourtant, la question d’un paracolonialisme naïf est souvent évoquée. L’usure amenée par l’Histoire tend à gommer un raisonnement politique derrière la pérennité des institutions. Et dans une valse étrange, la réflexion s’inverse pour laisser place à l’idée d’une Afrique nécessiteuse, tenue par une dépendance face à la métropole. 


Le paracolonialisme de Françoise Vergès

C’est une histoire de formelle indépendance. La domination rendue tacite par le cachet administratif, se trouve diluée dans la nébuleuse du soft power. Culture, économie et influence sont au centre du bastion paracolonial. Selon l’historienne, l’absence d’occupation territoriale obscurcit l’évidence du contrôle. Lorsque l’on se penche sur les décolonisations de grandes nations coloniales, telles que la France ou l’Angleterre, on observe sans mal cette propension à garder la main mise sur le territoire ou ses richesses, au travers de déclarations d’indépendances découlant de traités inégaux. C’est ce qu’il se passe encore aujourd’hui comme le montre l’exemple du franc CFA. Quinze pays d’Afrique utilisent encore ce franc mis en place en 1945 à la suite de la ratification des accords de Bretton Woods. Habilement rebaptisé en 1958, avec l’arrivée de De Gaulle au pouvoir et la décolonisation, le franc CFA se maintient et perdure, à l'image de l’ombre de Marianne sur le continent africain. En couverture, la domination économique n’est pas tout de suite palpable, mais lorsque le prestataire qui reçoit les ordres d’impression de la monnaie de ces pays est nommé, le rideau tombe. La Banque de France, est en effet toujours le prestataire de ces quinze pays comprenant le Burkina Faso, le Sénégal ou encore le Niger. Ce qui signifie que les francs CFA de ces pays sont encore produits en France sous l’égide de la Banque de France. L’entièreté de leur système monétaire repose sur le système français. La sortie du franc CFA devient donc un enjeu de souveraineté et de positionnement géopolitique pour ces pays. Mais voilà, comment sortir ? Dans quelles conditions et avec quelles répercussions diplomatiques ? Si une monnaie commune d’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui envisagée, les différents gouvernements sont encore aujourd’hui réticents à l’idée d’un déséquilibre économique résultant d’une guerre d’influence. L’équation géopolitique réduite à un simple problème économique est donc vidée de sa portée sur l’indépendance pleinement acquise.  


La remise en cause du paracolonialisme passe parfois par la force

En effet, le symbole que représente la force militaire répond dans ces anciennes colonies à l’image de la présence de troupes françaises sur leur territoire. Ainsi lorsque le coup d’État de 2023 éclate au Niger et que l’ambassade française est vidée et désinvestie, une première pour la France, une des premières revendications avancées est la libération de la domination française. Le paracolonialisme atteint donc ses limites avec le hard power. C’est à la lumière de ces évènements que le paracolonialisme continue d’être étudié et approfondi comme une notion en évolution répondant à des dynamiques d’influences et de contrôle. Cet affinage du néocolonialisme est aujourd’hui bousculé par des nations aux revendications toujours plus souveraines. Cependant, il serait illusoire d’affirmer que le paracolonialisme est aujourd’hui révolu. L’aube de 2025 se lève sur un théâtre international qui continue de jouer selon les mêmes règles tout en se targuant d’offrir au public une pensée réflexive en les termes d’une nouvelle interrogation « Êtes-vous des paracolonialistes ? ». 

 

Francoise Vergès note que le paracolonialisme s’envisage dans un dépassement par le postcolonialisme ou un regard revisité sur le passé dans une convergence des colonies et de la métropole dans des institutions où elles sont amenées à être imbriquées. Pour la scène culturelle, la fin de l’omerta sur le paracolonialisme signifie le retour d’une part de leur histoire culturelle. La littérature dite « post-coloniale », appelée il y a encore peu la « littérature francophone » est le fruit d’un travail post-colonial, pendant d’une émancipation politique que la plume n’est pas toujours amenée à résoudre. Sortir du paracolonialisme, c’est donc déjà admettre qu’il n’en est pas de naïf, et qu’on ne soumet jamais sans faire exprès.

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