Etats-Unis - Chine : le piège de Thucydide est-il une réalité ?
- Victor Rudelle
- 21 déc. 2023
- 4 min de lecture
Le jeudi 30 novembre, Joe Biden rencontrait son homologue angolais João Lourenço afin de renforcer les investissements états-uniens dans la région, et par la même occasion de proposer une alternative concrète à l’aide chinoise. Plus qu’une simple rencontre (28 ans après la dernière entre les présidents états-unien et angolais), la réception de Lourenço à la Maison Blanche symbolise un affrontement d’influence entre les deux puissances qui régissent aujourd’hui les relations économiques et géopolitiques à l’échelle mondiale : Etats-Unis et Chine.

Le président américain Joe Biden et son homologue angolais, le président João Lourenço lors de leur rencontre à Washington le 30 novembre dernier.
Comprendre le conflit sino-américain : sous quelles formes ces deux puissances s’affrontent-elles ?
Depuis 1978 et la politique des quatre modernisations de Deng Xiaoping, où la Chine s’est ouverte aux investissements mondiaux et a intégré l’économie mondiale, elle est devenue peu à peu un des acteurs majeurs de cette dernière. Elle n’est plus seulement « l’atelier du monde » mais entend bien contester un leadership états-unien bien ancré. En effet, l’alignement sur le long terme de ses politiques économiques, actions diplomatiques et efforts militaires sur la scène internationale a pour objectif la promotion de ses intérêts et de son système de valeurs.
C’est en effet d’abord idéologiquement que se traduit la rivalité sino-américaine. Le « national-communisme » chinois, dans lequel toute activité économique doit être au service de la puissance de l’Etat, s’oppose au libéralisme américain et à la conception états-unienne de la démocratie. L’enjeu étant d’étendre le plus possible l’influence de leurs valeurs : si la tâche semble déjà évidemment acquise pour les Etats-Unis, la Chine monte en puissance, notamment auprès des Etats dits émergents. Elle acquiert cette influence en nouant des relations d’interdépendance économique avec les autres Etats.
Tel est le cas en Afrique, ou elle parvient depuis les années 2000 à se substituer aux anciennes puissances coloniales en développant des partenariats économiques sous forme d’aide aux infrastructures. A cet égard, elle a financé des corridors de développement tel que celui de Mombasa en Afrique du Nord-Est en intégrant notamment la majorité des territoires dans son projet des « nouvelles routes de la soie », lancé par Xi Jinping en 2013.
Une rivalité qui conditionne les équilibres stratégiques globaux
Quelle portée ces entreprises ont-elles à l’échelle internationale ? L’objectif de la Chine est tout autant d’embellir son image auprès du plus d’Etats possibles que de remettre en question un monde occidentalisé. C’est une menace qui est prise au sérieux par les Etats-Unis, d’où le fameux pivot asiatique de Barack Obama lancé en 2011 qui détermine aujourd’hui de nombreux enjeux mondiaux.
« Le nouvel ordre mondial que la Chine appelle de ses vœux sera plus civilisé et apportera plus de bonheur » écrivait Liu Mingfu, stratège proche de Xi Jinping. Cette volonté réformatrice est d’abord -et surtout- observable à l’échelle régionale, dans l’espace proche chinois. C’est bien dans l’espace Indopacifique, et notamment en mer de Chine méridionale, que l’empire du milieu déploie ses forces militaires et contient toute l’attention américaine. Si Taïwan est bien l’épicentre des tensions entre les deux Etats, leur affrontement se traduit aussi par un jeu d’alliances stratégiques : le QUAD, ravivé depuis 2017 avec l’Australie le Japon et l’Inde, semble à cet égard un outil puissant pour les Etats-Unis afin de contenir l’influence chinoise dans la région.
La stratégie chinoise passe en effet par le contrôle de territoires maritimes contestés en Mer de Chine méridionale. La Chine n’hésite pas à affirmer sa souveraineté dans les îles Paracels et Spratley, hautement stratégiques pour leur localisation et leur richesse en nodules polymétalliques, et revendiquées par de nombreux Etats asiatiques tels que le Vietnam, les Philippines, la Thaïlande et la Malaisie. D’où l’importance actuelle des jeux d’alliance en Asie du Sud-Est et la recrudescence de rencontres diplomatiques comme le sommet de l’ASEAN, ou Joe Biden y appelait à construire « un Indopacifique libre et ouvert » en 2022. L’Indopacifique, du fait de son rôle clé dans cette rivalité, est la zone où se joue une redistribution de la hiérarchie des puissances.
La Chine, « un colosse aux pieds d’argile »
Quel avenir pour cette confrontation entre Etats-Unis et Chine ? Dans la guerre commerciale lancée entre les deux Etats, ponctuée par de nombreuses sanctions des deux côtés, ce sont bien les Etats-Unis qui semblent tirer leur épingle du jeu. Technologiquement, la Chine ne parvient pas à créer de l’innovation privée et reste donc très dépendante des investissements et des circulations de productions de très hautes technologies. Ainsi, après son placement sur la « liste noire » de Donald Trump, Huawei a vu ses ventes de smartphones chuter jusqu’à être évincé du marché du téléphone mobile.
Les sanctions commerciales américaines restent alors l’atout principal du pays dans ce conflit : l’exemple des semi-conducteurs montrent que les Etats Unis sont capables de plier les grandes entreprises mondiales (à l’image des GAFAM) aux priorités stratégiques du gouvernement. Une stratégie qui montre aussi l’impuissance chinoise se caractérisant par sa dépendance à l’extérieur. En ajoutant à cela une croissance économique de plus en plus faible (2,25% en 2022), des incertitudes idéologiques affaiblissant son discours mondial et le poids extrêmement fort de l’Etat dans les instruments de souveraineté (dont découle un manque crucial de firmes transnationales), la Chine ne semble pas en posture idéale pour renverser l’hégémonie multi américaine.
Si Graham Allison décrivait dans son ouvrage « Vers la Guerre : les Etats-Unis et la Chine dans le piège de Thucydide » une issue violente plus que probable entre les deux Etats, la rivalité sino-américaine n’est pas nécessairement amenée à se concrétiser en opposition militaire. Cette rivalité reste une question d’influences stratégiques et d’alliances internationales.
Dans ce conflit de leadership mondial, ses faiblesses stratégiques pourraient bien empêcher la Chine de répondre à ses ambitions.
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