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L’adhésion de l’Ukraine dans l’Union Européenne : un bien pour un mal ?

  • Thibaut Anglicheau
  • 21 déc. 2023
  • 5 min de lecture

Jeudi 14 décembre 2023, les négociations à propos de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne ont commencé au conseil européen. Si cette discussion s’inscrit dans la dynamique de repli occidental consécutive à l’agression russe de l’Ukraine, elle pourrait mettre en péril, dans une certaine mesure, l’Union Européenne telle qu’elle s’est imaginée depuis la fin du second conflit mondial. Cet agrandissement peut-il être synonyme de dislocation ? Pour reprendre les mots du Monde Diplomatique, peut-on dire que l’Union Européenne « se disloque à mesure qu’elle s’élargit » ?




Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d'une conférence de presse en février 2023.


La chute du mur de Berlin a engendré trois défis majeurs pour l’Union Européenne. La réunification allemande et la dissolution du « tricératops » soviétique à bout de souffle ont imposé une redéfinition des objectifs de la construction européenne et une remise au premier plan de l’impératif sécuritaire. En premier lieu, il a fallu agrandir l’union aux pays d’Europe centrale et orientale dans un objectif de consolidation de l’économie de marché et de la démocratie. Le second défi concerne la nature plus imprévisible des conflits nationaux au lendemain de la guerre froide. Si l’ère de la bipolarisation du monde semble révolue, les formes des conflits contemporains sont telles que ces derniers sont plus difficiles à anticiper. Enfin, troisième défi, résolument d’actualité en ce mois de décembre 2023, consiste en le risque de dilution de l’esprit de solidarité communautaire dès lors que l’union s’agrandit pour intégrer de nouveaux membres.


Une demande d’adhésion à l’Union 

Quelques jours seulement après le début de l’invasion russe des territoires ukrainiens du Donbass, le président Zelenski s’est exprimé depuis ses réseaux sociaux pour demander à l’Union Européenne l’adhésion rapide de son pays en son sein. Plus que jamais, le repli sur le groupe de pays qui s’était construit dès le départ dans un contexte de guerre froide apparaissait comme le meilleur rempart face à l’expansionnisme russe piloté par Vladimir Poutine. À cette demande réflexe, effectuée dans un contexte particulier, les réactions des différents acteurs européens témoignent de la complexité de la demande. 

De manière symptomatique, si des dirigeants européens comme Emmanuel Macron ou la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen se sont montrés relativement enthousiastes vis-à-vis de la perspective de rapprochement entre l’Ukraine et l’UE, d’autres, Charles Michels (président du Conseil européen) en tête, se sont montrés plus réservés. Contre la réaction intempestive qui consistait à favoriser une admission expéditive de l’Ukraine dans l’union, il demandait à cette dernière de se soumettre aux impératifs déjà existants et qui assurent la cohérence des admissions dans l’Union Européenne. Les réactions parfois dithyrambiques qui encouragent l’admission rapide de l’Ukraine dans l’UE se justifient certes par une volonté de démontrer l’unité du camp occidental face à l’agression russe. Toutefois, ne s’agissant pas de mettre en péril la solidarité du camp européen, la procédure se doit d’être toujours réfléchie et pondérée par l’ensemble des Etats membres. Pour Charles Michels, donc, prudence restait le mot d’ordre. 


Création d’un nouveau précédent

Nonobstant ces déclarations de principe, la sollicitation de l’Ukraine se détache singulièrement des autres demandes de la période. En effet, l’Ukraine a réussi à acquérir le statut de candidat à l’adhésion en un temps absolument record et en s’affranchissant de certaines étapes qui apparaissaient autrefois comme indispensables. Certaines exigences en termes de solidité économique, de respect des valeurs de la démocratie et de l’État de droit ou de défense des minorités étaient autrefois la norme pour prétendre à ce statut. La Turquie, l’Albanie et la Bosnie sont des pays qui ont mis plusieurs années avant de l’obtenir précisément pour ces raisons. Le cas ukrainien établit alors un précédent majeur qui pourrait témoigner d’une évolution profonde de l’Union Européenne et de ce qu’elle représente. Une situation géopolitique conjoncturelle – la guerre déclenchée par la Russie– a plus d’impact que le partage de valeurs communes dans l’évaluation d’un potentiel candidat. 

S’il peut sembler légitime de constituer un front occidental face à un État russe belliqueux, il est possiblement dangereux de mettre dans la balance les idéaux et valeurs européens. En outre, derrière la demande d’adhésion réside certes les grands principes mais aussi les plus petits arrangements ou accords, que l’admission expéditive de l’Ukraine pourrait perturber. Les questions plus purement techniques, considérant à la fois la place de l’Ukraine dans les institutions européennes, leur part dans les subventions et leur intégration dans la politique agricole commune sont autant de questions épineuses qui ne peuvent être éludées. 


Quelle situation à l’orée des discussions ?

Jeudi 14 décembre se sont donc ouvertes les discussions relatives à l’intégration de l’Ukraine au sein de l’Union Européenne. Viktor Orban, président hongrois, apparaît comme la figure la plus hostile à cette admission. Toutefois, s’il a refusé de donner son accord pour l’envoi d’aide financière européenne au pays de Zelenski, il a habilement quitté la salle lors du vote d’ouverture des discussions, choisissant de ne pas émettre son droit de véto. La relative résistance d’Orban témoigne clairement de l’absence d’unité de pensée en ce qui concerne l’admission de l’Ukraine mais sa solitude fait également part d’une acceptation assez généralement partagée pour les pourparlers. Zelenski s’est félicité de l’entame des discussions en saluant un grand pas pour l’Ukraine mais aussi pour l’Europe.  Comme convenu entre les membres, un grand nombre de décisions doivent être prises à l’unanimité. Il s’agit donc aussi, pour les défenseurs d’une adhésion ukrainienne, de bien marchander avec Orban pour parvenir à leur fin. Dès lors, ces discussions vont aussi mettre en exergue un des rapports de force qui sous-tend l’Union Européenne aujourd’hui. 

Plus que jamais, la Hongrie semble se distinguer des autres pays-membres. En bref : le processus semble loin d’être fini, et tous les bords vont devoir transiger avec leurs principes pour qu’un compromis soit trouvé. Seulement, l’affaire ukrainienne démontre que la force de l’Union Européenne n’est pas immuable. Le nombre des pays impliqués complique la prise de décision, a fortiori lorsque l’unanimité est exigée. Les institutions peuvent facilement être paralysées. De plus, comme réforme, il semble difficile, pour des raisons de caractéristiques nationales et de propriétés singulières, de satisfaire autant la France que la Hongrie ou l’Italie par exemple. 


D’une manière générale, les poussées expansionnistes de l’Union Européenne semblent toujours avoir pour corollaire une dénaturation relative de la cohésion et similarité des membres. Désormais et plus que jamais, situations économiques, développement institutionnel, degré d’avancement de la protection sociale semblent autant de facteurs qui distinguent les différents États européens. 

Le début des négociations du conseil européen à propos de l’admission de l’Ukraine en son sein se trouvent bien à un instant historique clef. Il est légitime de se demander si la défense de l’état souverain ukrainien doit passer par son entrée dans l’union européenne

Cette intégration n’est-elle pas le signe paradoxal d’une Europe de plus en plus repliée sur elle-même et qui se construit davantage en réaction à une conjoncture géopolitique particulière qu’en faveur des idéaux progressistes pour lesquelles elle est née ? 




par THIBAULT VIVET

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