L'art de la guerre sino-américaine
- UN'ESSEC
- 3 juin 2019
- 4 min de lecture

La guerre économique entre la Chine et les Etats-Unis fait rage. Le 1er Juin dernier, les Etats-Unis ont fait entrer en vigueur une mesure fixant à 25% les droits de douanes sur de nombreux produits chinois importés en Amérique. Dans l’attente d’une riposte chinoise, annoncée dans la foulée par Pékin, les tensions s’exacerbent et semblent atteindre leur paroxysme, débouchant, peut-être à terme, sur une nouvelle guerre de blocs.
Etats-Unis-Chine : rivalités de pouvoir et d'influence
Le monde unipolaire post guerre froide n’est plus. L’émergence de nouvelles puissances a redistribué les cartes d’une nouvelle géopolitique mondiale, cette fois dite « multipolaire » et plus globalisée. Les différents enjeux contemporains englobent désormais une nouvelle réalité, celle de la « géoéconomie » (E.Luttwak). Cette dernière analyse les stratégies commerciales et économiques décidées par les Etats pour accroitre leur puissance et leur rayonnement à l’international. En terme de géoéconomie, tous les regards sont désormais tournés vers la relation que nouent Chine et Etats-Unis, qui se mènent une guerre sans merci, entre rivalités de pouvoir et d’influence.
Une escalade de la violence économique ?
Hier soir, les Etats-Unis ont donc, dans cette logique de concurrence économique accrue, fait entrer en vigueur des droits de douanes à hauteur de 25% sur de nombreux produits chinois. Cet acte fait suite à l’annonce de Donald Trump du 10 mai dernier, dans laquelle il entendait taxer plus de 200 milliards de dollars d’importations chinoises. Cette décision touche une large gamme de produits de consommation et de pièces électroniques comme des circuits imprimés, des ordinateurs, des aspirateurs ou encore des machines à laver. Cette mesure s’inscrit logiquement dans le cadre de la politique d’ « America First » de Donald Trump, qui, couplée à un « reshoring » (i.e. une relocalisation des unités de production sur le territoire américain) plus agressif, ouvre la voie à une réindustrialisation progressive des Etats-Unis (plus de 300 000 emplois ont été recréés depuis 2012).
Pékin n’est évidemment pas resté insensible à une telle mesure. A 16h, la Chine a annoncé une taxation immédiate entre 20% à 25% sur 60 milliards de dollars de marchandises américaines. Une conférence de presse est à prévoir, et un livre blanc sur les relations économiques sino-américaine devrait être publié d’ici demain par le gouvernement Chinois. Pékin a également publié vendredi dernier une liste noire d’entreprises étrangères « non fiables », dont une grande partie d’entreprises américaines en réponse à l’offensive américaine contre Huawei. De plus, la Chine a laissé entendre cette semaine qu’elle pourrait réduire ses exportations de terres rares, primordiales à de nombreuses industries de pointe aux États-Unis.
Cette situation laisse à penser qu’il s’agit ici des prémices d’une guerre économique sans précédent, et c’est avant tout l’absence de discussions/pourparlers sur le sujet entre les deux grandes puissances qui reste le plus préoccupant.
Vers une nouvelle géopolitique / géoéconomie de blocs ?
D’usine du monde à concurrent économique majeur des Etats-Unis, la Chine s’est imposée progressivement comme une puissance économique, géopolitique, géo-économique et culturelle pouvant à terme rivaliser avec la puissance américaine (les concepteurs du sujet d’HEC-ESCP 2018 eurent à ce titre la bonne idée de nous faire réfléchir plus en détail sur ce vaste sujet pendant 4 heures…)
Dans un monde fragmenté, que la logique de régionalisation ne parvient que peu à unifier, il n’est pas impossible, voire même probable de voir renaître une nouvelle guerre de blocs. Quitte même à envisager l’avènement d’un nouveau monde bipolaire, dirigé conjointement par la Chine et les Etats-Unis : face à une Europe en perte de vitesse, une telle situation semble progressivement être plausible. La montée des tensions autour des ilots de la mer de Chine vient d’ailleurs appuyer cette thèse et rappelle la logique de conflits sur territoires interposés de la Guerre Froide. Les Etats Unis ont prévenu ce samedi qu’ils n’hésiteraient pas à intervenir massivement en Asie et à proximité immédiate de la Chine pour maintenir leur suprématie dans la région, et garantir la défense des pays voisins.
Les Etats-Unis mettront également fin au traitement économique préférentiel avec l’Inde dans le cadre du programme GSP (Generalized System of Preference) le 5 Juin prochain. Avec un déficit commercial des Etats-Unis de 26.7 milliards de dollars sur l’année 2017-2018 envers l’Inde, cette mesure punitive vise à renforcer les positions économiques américaines et à redresser des chiffres catastrophes.
Il y a fort à parier que les Etats-Unis tentent de jouer la stratégie du chaos sur la scène internationale pour redevenir la nation indispensable, comme ils furent jadis les gendarmes du monde dans la période post Guerre Froide ; mais à quel prix ? Un rapprochement sino-indien dans le cadre d’un monde bipolaire serait pour Washington un bien mauvais présage.
« L'art de la guerre, c'est de soumettre l'ennemi sans combat ». Ces mots, écrits par le général chinois Sun Tzu au VIème siècle avant Jésus Christ dans l’Art de la Guerre, ouvrage référence en termes de stratégie militaire, ne semblent aujourd’hui plus d’actualité, tant les tensions entre Chine et Etats-Unis semblent s’intensifier. Si rien n’est fait, la situation pourrait empirer voire dégénérer, et ne saurait profiter ni aux Etats-Unis, ni à la Chine, tant ces deux grandes puissances sont aujourd’hui interdépendantes.
Philippine Hautefort
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