L'ingérence et l'influence russes au sein des élites démocratiques : quelles actualités ?
- Skander Hamza
- 26 juin 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juin 2023
La commission parlementaire française d’enquête sur les ingérences étrangères a révélé dans son rapport de juin 2023 des liens compromettants entre le Rassemblement national (RN) de Marine le Pen et le Kremlin, via des emprunts de 2014 auprès d’une banque tchéco-russe. Le rapport, réalisé par des députés Renaissance, accuse le RN d’être une véritable “courroie de transmission” du discours du régime de Poutine. Cette commission remet au goût du jour un sujet qui avait fait grand bruit lors des élections américaines et européennes de 2015-2017 : l’ingérence russe dans les élections américaines et européennes ainsi que l’influence du Kremlin au sein des élites politiques occidentales. La guerre en Ukraine a cependant modifié les possibilités de relais du discours de Poutine et bouleversé les réseaux d’alliances.

Vladimir Poutine et Gerhard Schröder
La capture d’élites politiques
Si depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, le discours de la classe politique européenne est globalement marqué contre la Russie, cela n’a pas toujours été le cas depuis 2014 et l’annexion de la Crimée. En Europe, à droite comme à gauche, des personnalités politiques se sont démarquées par leur proximité avec le Kremlin par différentes manières.
Il y a d’abord ceux qui affichent une proximité assez forte dans le discours avec la Russie et les régimes alliés sur la scène publique au cours de leurs mandats. On note l’existence de plusieurs structures comme les groupes d’amitié de l’Assemblée nationale ou encore des associations comme le “Dialogue franco-russe”. En France, une grande figure de ces groupes est Thierry Mariani, ancien député UMP devenu député européen RN en 2019. Président de « Dialogue franco-russe », il démontre sa proximité lors de son soutien à l’annexion de la Crimée et par son initiative du déplacement d’un groupe de 10 parlementaires pour “maintenir le dialogue avec nos amis russes”. La position de ces ultras face au déclenchement de la guerre reste ambiguë. Si l’invasion est jugée “regrettable” par Mariani, on accuse généralement l’Ukraine d’avoir violé les accords de Minsk II et de porter sa propre charge de responsabilité. Cela est suivi par un soutien aux campagnes de désinformation, en réfutant par exemple les accusations de crimes de guerre potentiellement commis par la Russie.
Cependant le signe le plus évident de capture politique par le Kremlin reste les nominations à de hauts postes de grandes entreprises russe après 2014. En Allemagne, pays européen entretenant les relations économiques les plus fortes avec la Russie, de hautes figures politiques se sont retrouvées dans les Conseils d’administration (CA) des géants économiques russes. Gerhard Schröder, ancien chancelier social-démocrate de 1998 à 2005, fut président du CA de Gazprom et membre des CA de Nord Stream et Rosneft. Celui-ci n'a abandonné sa fonction qu’après de lourdes pressions du chancelier actuel Olaf Scholz, trois mois après le déclenchement de l’invasion. En France, l’ancien premier ministre François Fillon siégea au CA de plusieurs entreprises pétrolières russes détenues par des oligarques proches du Kremlin et fut l’un des derniers à abandonner ses postes suite à l’invasion de l’Ukraine, au sujet duquel il a affirmé la responsabilité des Occidentaux qui n’auraient pas suffisamment écouté les plaintes de la Russie.
La lutte de l’UE contre les influences russes et étrangères
Le problème dépasse le niveau national. L’Union européenne, qui lutte contre son manque de transparence depuis des décennies, est impliquée dans de nombreux scandales d’influence russe et globalement étrangères. Depuis décembre 2022, le “Qatargate” et le “Marocgate” ont impliqué plusieurs eurodéputés suspectés et/ou reconnus coupables de corruption. Ainsi des eurodéputés, dont une ex-vice présidente du Parlement européen, auraient touché jusqu’à 1,5 millions d’euros pour blanchir l’image de plusieurs États, dont le Qatar, les Émirats Arabes Unis et le Maroc sur des questions de violation des droits de l’Homme, des droits du travail et de l'expansionnisme marocain dans le Sahara occidental.
Depuis ces scandales et la fermeture du Parlement européen aux lobbyistes russes, l'institution de Strasbourg est entrée dans une lutte contre cette ingérence dans son processus démocratique.
Raphaël Glucksmann, qui préside depuis 2020 la commission du Parlement européen sur les ingérences étrangères, parle d’une “guerre hybride” depuis 20 ans. Cela a pris la forme d’assassinats d’opposants russes sur le sol européen ou encore de financement à des mouvements hostiles à l’UE, des partis d’extrême-droite aux mouvements indépendantistes. Ainsi le Parlement européen a lancé des enquêtes sur les liens entre la Russie et le gouvernement catalan. La Russie aurait promis en 2017 un financement conséquent et des moyens militaires pour une sécession catalane et le Kremlin serait derrière des milliers de comptes sur les réseaux sociaux apportant leur soutien à l’indépendance durant le référendum.
Autres stratégies, autres lieux
Les autres armes de Moscou pour influencer le processus démocratique ont grandement perdu en puissance depuis février 2022. La constellations des médias russes en Europe destinée à avancer les buts du Kremlin ont mal survécu à la guerre : l’Union européenne a banni les médias publics russes suite à la guerre en Ukraine, en tête Russia Today et Sputnik News. Les grandes manipulations de l’opinion publique, notamment par une utilisation intense des réseaux sociaux, restent un moyen actif de propager la désinformation dont la Russie fait usage.
Mise au ban de l’Europe et de ses institutions, la Russie attise les tensions dans les conflits qui l'entourent. En Afrique, plusieurs “influencers” politiques pro-Poutine ont, dans le cadre du conflit ukrainien, relancé le mouvement décolonial et anti-français. Par le biais de Wagner, d’associations relais comme l’Afric (Association pour la recherche libre et la coopération internationale) ou encore de médias et radios divers, des intellectuels relaient le discours de Moscou sur l’Europe et l’Ukraine en utilisant des messages anti-impérialistes et panafricains.
Cette stratégie semble payer : le sentiment anti-français est à son apogée depuis le dernier putsch au Mali et les Occidentaux sont contraints à retirer ou du moins diminuer leur présence au Sahel. En Afrique du Sud, puissance régionale de premier plan et allié économique des Etats-Unis, la coopération militaire avec la Russie se renforce et le président, dirigeant de la délégation africaine en mission de médiation en Russie et en Ukraine, a affirmé sa volonté d’accueillir Vladimir Poutine pour un sommet des BRICS.
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