Invasion de l'Ukraine : une dépendance européenne regrettable au gaz russe
- Mathieu Solbes
- 2 oct. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juin 2023
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les tensions autour du gaz ne cessent de croître en Europe. En effet, 70% du gaz russe transite par l'Ukraine. Lundi 26 septembre, un cap a été franchi avec la découverte de fuites des gazoducs Nord Stream 1 et 2 reliant la Russie à l’Allemagne, probablement provoquées par des sabotages. Retour sur 6 mois de casse-tête pour l’approvisionnement en énergie de l’UE.
Le gaz, l’arme fatale du Kremlin
Lorsqu’on parle de gaz, c’est bien souvent la Russie qui mène la danse. Le pays est depuis longtemps le 1er exportateur mondial de gaz naturel, notamment grâce à sa société étatique Gazprom. Une position avantageuse lorsque l'on sait que le gaz est la 2ème source d'énergie européenne (derrière le pétrole). Par ailleurs, la plupart des accords entre pays exportateurs sur les prix de vente se font d’ailleurs avec le concours du Kremlin, un acteur du marché trop important pour être ignoré.
Dans les années 2010, la Russie avait construit de nouveaux gazoducs pour contourner l'Ukraine et d'autres pays européens jugés hostiles envers la Russie (Pologne, pays baltes), les privant ainsi des retombées économiques. À l'aune de l'invasion de l'Ukraine cette année, la Russie a cette fois progressivement fermé les vannes du gaz vers l’Europe, en réponse aux sanctions imposées par l’UE après l’invasion de l’Ukraine. En réduisant les quantités exportées, la Russie a fait grimper le prix de la ressource, et de fait, a exporté la guerre directement au cœur des sociétés européennes, dans le but de faire pression sur les gouvernements de l’UE.
Le gaz illustre parfaitement la nature de la puissance russe, qui joue sur la contrainte en coupant les approvisionnements.
Si l’on pensait qu’une telle manœuvre mettrait en péril la santé économique de la Russie, dont les recettes de l’exportation du gaz représentent 15% du PIB, la situation n’est pas du tout celle qui était escomptée en Europe. L’État russe a fait plus de 40 milliards d’euros de recettes budgétaires en 6 mois, la chute des volumes d’exportations étant compensée par la flambée des prix.
Face à la Russie, une Europe à la peine
Si la situation actuelle est aussi complexe pour l’Europe, c’est avant tout à cause de sa dépendance au gaz russe. En 2021, la Russie était de loin la première source de gaz de l’UE, représentant 45% des importations. Mais cette dépendance n’est pas la même suivant le pays dans lequel on se trouve. En Europe de l’Est, la plupart des pays consomment quasi-exclusivement du gaz russe, tandis qu’en Europe de l’Ouest, la proportion est inversée - sauf pour l'Allemagne.
Ainsi, les priorités des membres de l’UE ne sont pas les mêmes dans cette bataille du gaz. Si un crédo commun a été trouvé dans la nécessité de totalement repenser l’approvisionnement en gaz, changer de fournisseurs n’est pas aussi simple. Les Etats-Unis, qui ont proposé leur aide, ne peuvent suffire à pallier le gaz russe, faute d’infrastructures suffisantes dans les ports européens pour transformer le GNL (Gaz naturel liquéfié) acheminé par bateau en gaz combustible. Le problème reste le même pour le gaz qatari.
Si le Maghreb pouvait passer pour une alternative idéale, car de proximité, cette solution est limitée, compte tenu de la capacité de production beaucoup moins grande de l’Algérie. Finalement, une des principales solutions retenues par l’UE est l’Azerbaïdjan. Un accord a été signé entre le président azerbaïdjanais et Ursula von der Leyen en juillet, permettant une hausse de 30% des exportations par rapport à 2021.
Pressions, sabotages : la guerre en Ukraine est-elle devenue une guerre du gaz ?
A l’heure actuelle, le bras de fer entre Russie et Occidentaux semble pencher en faveur du Kremlin. Fin août, l’envolée des prix de l’énergie par rapport à 2021 était de 38,3% dans la zone euro. En France, le prix du mégawattheure est passé de 85€ à 1000€. Cette hausse des prix de l’énergie, couplée à l’inflation générale, met les sociétés européennes sous pression, et accentue les divisions, conformément aux attentes du Kremlin.
Face à cela, l’UE a mis en place vendredi 30 septembre trois nouvelles mesures : l’obligation de diminuer la consommation électrique, la mise en place d’un plafond à 180€ le mWh à partir du 1er décembre, et une « contribution de solidarité » pour les entreprises pétrolières faisant des profits supérieurs de 20% à leur moyenne sur 5 ans. Néanmoins, les États européens n’arrivent pas à s’accorder sur un plafonnement du prix du gaz, qui pourrait ne pas être accepté par les exportateurs.
Mais côté russe, le temps pour faire céder les Occidentaux est de plus en plus limité. Après les revers militaires, l’annonce d’une mobilisation partielle a entraîné de grandes manifestations dans tout le pays. Vladimir Poutine doit agir vite car il risque à terme de perdre son avantage du gaz. Ses menaces répétées d’utilisation de l’arme atomique, la fragilisation de la réputation des Occidentaux dans le monde, notamment en Afrique, sont autant de stratégies pour gagner à l’usure. Aujourd’hui, avec le sabotage des pipelines dont on ne connaît pas encore l'origine, plus qu’une guerre du gaz, le conflit ukrainien devient véritablement une manifestation flagrante du concept de « guerre hybride », combinant actions militaires et non militaires.
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