La France en Indopacifique : puissance d'équilibre ou puissance exclue ?
- Skander Hamza
- 30 janv. 2023
- 3 min de lecture
Trois mois après le discours d’Emmanuel Macron au sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), le Sénat a, dans un rapport du 25 janvier 2023, qualifié la stratégie affichée par l'exécutif en Indopacifique de démesurée quant aux moyens engagés et engageables.

Emmanuel Macron au sommet de l'APEC
La France en Indopacifique, la grande ambition de la Troisième Voie
“Vous devez vous demander ce qu’un président français fait là” ironisait Emmanuel Macron le 18 novembre dernier à Bangkok lors d’un sommet de l’APEC. En dépit d’une immense zone économique exclusive (11 millions de km²), de territoires allant de la Polynésie française à la Réunion et de 1,6 millions de citoyens, la France pèse peu dans le jeu des Grandes puissances de la région. Exclue de l’alliance anglo-saxonne de l’AUKUS (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis) tout comme du Quad (Quadrilateral Security Dialogue), la France se veut une puissance d’équilibre, une “Troisième voie” entre l’ombrelle américaine et l’expansionnisme chinois. Le discours séduit des puissances moyennes comme les Philippines, l’Indonésie et la Thaïlande, soucieuses du maintien de leur souveraineté, mais cela ne suffit pas.
Paris s’acharne en effet à se projeter dans une zone éloignée mais aujourd’hui majeure dans les enjeux militaires, commerciaux et économiques. Or, ce rôle n’est pas des plus simples à jouer entre les grandes puissances de la région et l’hégémonie américaine.
La France entretient cependant des relations historiques avec l’Indochine et l’Océanie et a lancé des partenariats militaires avec l’Indonésie et Singapour depuis le début des années 2010. Il y a également eu un rapprochement entre l’Inde et la France depuis l’élection d’Emmanuel Macron, notamment à travers des manœuvres militaires conjointes.
Mais la communication et la crédibilité françaises dépendent essentiellement du domaine militaire. Ceci peine à rassurer alors que la Chine produit tous les quatre ans l’équivalent de la flotte française.
La question épineuse de la Nouvelle Calédonie
Un des piliers de la présence française en Indopacifique est l’île de la Nouvelle Calédonie. Le dernier référendum d’indépendance a réuni 96% de non, du fait d’un large boycott de la part des indépendantistes. Depuis, des négociations pour un nouveau statut sont en cours. Pour l’État français, c’est sa puissance qui est en jeu. Le gouvernement français s’est rendu véritablement indispensable durant la crise sanitaire : Paris a accordé plus de 130 millions d’euros de subventions et a muté un grand nombre d’aides-soignants.
Dans les discours indépendantistes, le nickel semble être l’enjeu clé de l’autonomie nationale. S’il ne représente que 8% du PIB calédonien, le secteur contribue à presque un quart des emplois nationaux. L’Etat français est très investi : il a accordé depuis 1998 plus d’1,8 milliards d’euros de prêts. Depuis automne 2021, Tesla investit dans les mines du Sud de l’île pour ses batteries automobiles. C’est le seul projet qui vise la rentabilité et qui intègre à la fois la contrainte économique et les critères ESG. Les autres entreprises font face à des problèmes de surendettement, de sous-production et de grèves à répétitions. Ce secteur n'est donc pas en mesure d’assurer la viabilité d’une économie éventuellement indépendante.
Une stratégie européenne qui peine à se dessiner
En géopolitique on ne s’associe pas pour mais contre. Le jeu des alliances est ainsi déterminé par la volonté d’enrayer l’expansion chinoise dans la région. Or, les pays européens ne parviennent pas à s’aligner sur une ligne de conduite à adopter. Si le Royaume-Uni est résolument engagé par sa proximité avec l’Australie et les Etats-Unis, l’Allemagne ne semble pas vouloir plus s’investir. Berlin oscille entre son traditionnel repos sur l’allié américain et sa priorité claire au maintien des relations commerciales, Angela Merkel ayant été la dirigeante européenne ayant fait le plus de visites en Chine. De fait cette attitude devient difficilement tenable face au refroidissement des relations entre Pékin et Washington : la position allemande est de plus en plus perçue comme faible et ambigüe. À l’instar de l’annonce de l’AUKUS, le communiqué allemand fut tardif et d’une remarquable tiédeur, les Etats-Unis restent irremplaçables pour Berlin.
Face à ces divergences, l’Union européenne ne peut mener d’action concrète. Les dernières communications du Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité rappellent l’intention de Bruxelles de renforcer ses relations avec la région dans le but d’allier progrès économique et promotion de la démocratie. Au-delà des sommets de l’ASEM (Asie-Europe) et de l’aspect commercial, il n’y a pas de réel investissement de la part de Bruxelles dans la région.
Bientôt 80 ans après l’indépendance de l’Indochine, il serait peut-être temps pour Paris de se confronter à son impuissance ou de s’engager dans un activisme diplomatique renouvelé dans une région où le jeu se poursuit sans elle.
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