La guerre en Ukraine conduit-elle à un réel sursaut géopolitique en Europe ?
- Yoan Clamy
- 5 juin 2023
- 4 min de lecture
Si la guerre en Ukraine a amené les Etats européens à revoir leur stratégie militaire de défense et d'armement, elle n'a pas poussé à une plus grande unité entre les pays. On note toujours un manque de cohérence, de volonté et de moyens dans les politiques respectivement mises en oeuvre. L'Union européenne peut-elle envisager une stratégie de défense commune ?

Les conséquences de la Guerre en Ukraine
Si la plupart des États de l’Union européenne étaient conscients que les dividendes de la paix n’étaient qu’une illusion au vu de l’instabilité croissante du monde depuis la crise financière de 2008, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a enterré pour de bon cette croyance. Les États européens face au fait accompli n’ont pu que constater leur relégation au stade de puissance secondaire avec l’affaiblissement de leur armée, comme l’armée française ou l’armée britannique, voire leur presque totale disparition. Comme en 2014, les États européens occidentaux ont été incapables de contenir les velléités russes et n’ont jamais réussi à atteindre le compromis avec le Kremlin.
L’analyse relayée et partagée par la plupart des États européens est donc de renforcer la souveraineté européenne, terme déjà évoqué mais non traduit en action lors de l’arrivée d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne. Pour ce faire les États tentent de renforcer l’arsenal juridique de l’Union européenne, la Commission a proposé une loi contre le travail forcé en septembre 2022, visant directement la Chine et son exploitation des Ouighours. Selon le ministère des Armées, la nouvelle loi de programmation militaire, « avec un budget de 413 milliards d’euros, porte l’ambition de transformer les armées pour permettre à la France de faire face aux nouvelles menaces et de maintenir son rang parmi les premières puissances mondiales ». En Allemagne, trois jours après l’invasion de l’Ukraine, Olaf Scholz a mis en place le « Zeitenwende » un virage dans la politique militaire allemande, avec un budget de 100 milliards d’euros pour moderniser l’armée du pays.
Les premières réalisations géopolitiques des pays européens
Après les déclarations des États européens, où en sommes-nous ? Le fond créé pour l’armée allemande est à ce jour pratiquement intact. Même si le ministre des Armées allemande n’avait pas le mandat pour utiliser le fond, les armes ne seront pas livrées avant la fin de la décennie. L’Italie ne devrait investir qu’1,5% de son PIB dans la Défense et n’atteindrait les 2% fixés au sein de l’OTAN qu’en 2028. La Pologne qui se sent directement menacée par la guerre à ses frontières vise une dépense de l’ordre de 4% du PIB. Les Polonais considèrent que même s’ils font partie de l’OTAN, ils seraient les prochains à subir les ingérences russes si la Russie venait à remporter la guerre en Ukraine.
Le problème majeur qui se dessine est donc l’absence de cohérence dans les dépenses réalisées par les États européens, associée à un manque de volonté ou de moyens. Or, comme le rappelle Thomas Gomart, il est très difficile de résoudre des problèmes structurels en période de crise. Le problème majeur est que le marché unique, force principale de l’Union européenne, est aujourd’hui également menacé. D’après une enquête du Financial Times, les mesures prises par les États membres pour lutter contre les infractions aux règles du marché intérieur ont diminué de 80 % entre 2020 et 2022. Mais si un sursaut géopolitique doit s’opérer en Europe, il faut que les bases de la puissance normative européenne servent de tremplin à la construction d’une défense collective.
Quel place pour les pays européens dans le nouvel échiquier mondial qui se dessine ?
Partons d’abord de deux constats. D’une part l’invasion de l’Ukraine par la Russie a constitué un véritable électrochoc pour les États européens quant à leur rôle géopolitique mondial. D’autre part, les dépenses militaires des États de l’Union européenne dépassent largement les dépenses de tout autre État, mais comme les achats ne sont pas fait de manière coordonnée, l’Europe est accumule les petites armées, alors incapables de réaliser de grandes opérations sans l’aide d’alliés.
Ces deux observations posent un problème quant à l’évolution de la place des États européens dans la géopolitique mondial. La volonté des États européens de continuer à augmenter leurs dépenses militaires dans un contexte de remontée des taux et de difficultés économiques semble problématique. Dans ce cadre il est probable que des discours fleurissent à nouveau en faveur d’une baisse des dépenses, invoquant le parapluie américain. Par ailleurs, les États européens n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord sur le sujet d’une défense commune, et ce depuis 1954 et l’échec de la Communauté Européenne de Défense. Si ce projet rassemblant alors seulement cinq pays n’a pas abouti, on peut aussi s’attendre à une impasse avec une Europe à vingt-sept. D’autant que les États européens n’ont pas les mêmes analyses quant aux menaces les plus graves. Si pour les États d’Europe de l’Est il ne fait aucun doute que le danger est russe, pour les États d’Europe de l’Ouest, le terrorisme du Sud semble rester le plus grand danger. Cette division des perceptions ne peut mener à une stratégie commune.
J. Monnet déclarait pourtant que « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». La guerre en Ukraine, bien qu’elle ait uni les Européens autour d’un projet commun, aider l’Ukraine, n’a pas permis d’avancer sur les questions de défense européenne pour l’instant.
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