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La Russie se retire de l'accord sur l'exploitation de blé ukrainien

  • Photo du rédacteur: Yoan Clamy
    Yoan Clamy
  • 31 oct. 2022
  • 4 min de lecture

Le 29 octobre 2022, la Russie a annoncé se retirer de l’accord sur les exportations de céréales signé avec l’Ukraine sous l’égide de l’ONU. Il permettait l’exportation des céréales ukrainiennes bloquées depuis six mois pour raison de guerre, mais aussi celle des céréales russes qui peinaient à être exportées en raison des sanctions occidentales. La Russie peut-elle reprendre l’ascendant dans le rapport de force qui l’oppose à l’Ukraine et aux Occidentaux grâce à cette décision ?





Un accord primordial pour la stabilité alimentaire mondiale

Kiev et Moscou sont des exportateurs net de céréales. En 2019, un quart des exportations de blé et 64% des exportations d’huiles de tournesols étaient le fruit de l’Ukraine et de la Russie. Depuis l’invasion russe en février 2022 qui s’inscrit dans un contexte mondial déjà déstabilisé à cause la reprise économique difficile post-pandémique, les prix des céréales ont grimpé en flèche avec une hausse des prix de 70% entre février et mai 2022.

Comment comprendre une telle hausse ? Le marché des céréales est un marché tendu donc une faible variation des prix peut affecter de nombreux pays pauvres qui importent leurs céréales à prix bas depuis les marchés mondiaux. C’est notamment le cas des pays africains dont les classes paysannes ont été détruites par l’internationalisation forcée à la suite des plans d’ajustement structurel du Fond Monétaire International dans les années 1970. D’où l’importance capitale pour la stabilité géopolitique mondiale de l’accord sur l’exportation de grains entre la Russie et l’Ukraine. Ce dernier permet non seulement l’exportation de céréales ukrainiennes bloquées depuis le début de la guerre dans les ports de la Mer Noire, mais également l’augmentation des exportations de céréales et d’engrais russe puisque les Occidentaux se sont engagés à ne pas sanctionner les assureurs et les banques travaillant avec les Russes dans ce domaine. Les conséquences de l’accord se sont rapidement faites sentir: les prix ont baissé pendant cinq mois de suite et près de 100 millions de personnes ont évité de tomber dans l’extrême pauvreté d’après la CNUCED. Avec le retrait de la Russie de cet accord le 29 octobre, c’est la sécurité alimentaire mondiale qui est menacée. La décision de Moscou intervient après une attaque de drones sur le port de Sébastopol, contrôlé par la Russie depuis 2014. D’après le Kremlin, cette attaque justifie le retrait de l’accord puisque les garanties de sécurité n’ont pas été respectées.


Le food power, un levier géopolitique pour la Russie

Sur le plan géopolitique, la décision russe est un pur exercice du pouvoir vert ou food power, c’est-à-dire la capacité d’un pays à utiliser sa puissance agricole pour faire pression sur les autres nations. Les grands États mettent en priorité leur indépendance alimentaire du fait de l’aspect stratégique de ce secteur. Ainsi en 2014, après le début de l’isolement russe à la suite de l’annexion de la Crimée, la Russie a fait le choix de devenir une grande puissance céréalière, passant d’un pays devant importer ses céréales en provenance des États-Unis en pleine guerre froide à un exportateur net agricole. La Russie peut ainsi exercer une pression à la fois sur les pays qui dépendent d’elle pour leur importation agricole, mais elle peut aussi peser sur les prix mondiaux et donc sur ses rivaux géopolitiques du fait de la tension du marché agroalimentaire. L’aspect stratégique du secteur agroalimentaire et la tension de ce marché peuvent se comprendre à travers la loi de King. Celle-ci désigne le fait que, en raison de la rigidité de la demande de produits agricoles de première nécessité, une variation minime de l'offre de ces derniers est susceptible d'entraîner une variation très importante de leurs prix.

La moindre pénurie de blé entraîne une explosion des prix, en raison de l'importance vitale de ce produit : les gens, pour survivre, sont prêts à consacrer à l'achat de blé tous les moyens dont ils disposent pour nourrir leur famille. En jouant du pouvoir vert, la Russie peut accroître son influence avec les pays du Sud et diminuer le soutien à l’Ukraine.


Quelles conséquences pour l’Ukraine et le monde ?

Le retrait de l’accord pénalise lourdement l’économie ukrainienne. L’accord conclu en juillet avait bénéficié principalement à l’Ukraine car le blé russe est concurrencé par le blé français, aux frais de transports plus élevés. Il est donc dans l’intérêt de la Russie de fragiliser l’Ukraine en se retirant de l’accord. Surtout qu’en empêchant l’exportation de blé ukrainien, la Russie empêche l’Ukraine de jouer de son influence avec les pays en développement qu’elle soutient à travers ses dons au Programme Alimentaire Mondial. Au-delà de l’Ukraine, c’est le reste du monde qui souffre des conséquences de la décision russe.

La décision a été condamnée par les Occidentaux, les organisations internationales, mais aussi la Turquie, qui avait joué le rôle de médiateur pour l’accord, et l’Arabie Saoudite, qui redoute un potentiel embrasement du Moyen-Orient avec la montée des prix des denrées alimentaires. Si l’Arabie Saoudite craint un embrasement du Moyen-Orient, c’est parce qu’en 2010 l’augmentation des prix des matières premières et notamment du blé pour lequel la région importe 30% de ses besoins avait favorisé les Printemps Arabes après des « émeutes de la faim ». Ces manifestations urbaines sont donc susceptibles de se reproduire puisque le contexte est similaire, le chômage des jeunes au Moyen-Orient n’a pas baissé, l’économie ne s’est pas relancée et les prix montent à nouveau. Pour l’Arabie Saoudite, puissance régionale, c’est le pire des scénarios puisque si les manifestations débordent comme en 2010, elle risque de perdre ses alliés des régimes dictatoriaux du Proche et Moyen-Orient mais aussi de l’Égypte. L’Arabie Saoudite réprouve donc fortement la décision russe, mais si le Kremlin assurait l’approvisionnement des pays du Proche et Moyen-Orient, elle gagnerait fortement en influence dans la région aux détriments des Occidentaux qui seraient alors perçus comme incapables de garantir la sécurité alimentaire mondiale. Avec cette prise d’influence la Russie rassurerait l’Arabie Saoudite et l’éloignerait davantage des États-Unis avec qui les relations sont glaciales depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. En Afrique subsaharienne, la Russie pourrait profiter de sa décision pour évincer davantage les Européens et notamment la France si elle livrait aussi des céréales à ces pays dont les populations sont déjà hostiles aux Européens à cause de la colonisation. La décision russe fragiliserait également l’unité européenne à son encontre et diminuerait la marge de manœuvre des pays européens dans l’aide à l’Ukraine. Pour la Russie, il est probable qu’une déstabilisation mondiale lui soit favorable, elle obligerait les Occidentaux à se concentrer sur d’autres enjeux géopolitiques que la guerre en Ukraine.

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