Le déclassement de l’Europe spatiale se confirme.
- Alice Fabre
- 26 nov.
- 3 min de lecture
L’Europe spatiale cherche à reconquérir une place de premier plan
Au moment où les ministres des 23 États membres de l’Agence spatiale européenne (ESA) se retrouvent à Brême, en Allemagne, les 26 et 27 novembre, l’Europe s’apprête à voter le budget spatial le plus élevé de son histoire. Les contributions cumulées pourraient dépasser les 22 milliards d’euros pour les trois prochaines années, soit environ 5 milliards de plus que lors du précédent vote de 2022. Mais, paradoxalement, jamais le sentiment de déclassement spatial européen n’a été aussi prononcé, en particulier pour la France, longtemps moteur de cette politique.

Josef Aschbacher, directeur général de l’ESA, l’a résumé : l’Europe ne représente aujourd’hui qu’environ 10% des investissements publics mondiaux dans le spatial, contre 60% pour les États-Unis et 15% pour la Chine. Pire encore, la part européenne continue de diminuer, ce qui remet en cause l’attractivité du continent.
L’impact technologique d’un retard qui se creuse
L’exemple le plus frappant de ce recul concerne les lanceurs. L’entrée en service d’Ariane 6, en juillet 2024, a marqué le retour d'une capacité autonome d’accès à l’espace après une longue interruption, en partie due à la fin du partenariat avec Roscosmos (agence spatiale russe) et ses lanceurs Soyouz. Cependant, la comparaison avec les acteurs américains est douloureuse : Ariane 6, comme les micro-lanceurs développés par de jeunes entreprises européennes, ne dispose pas de la technologie de réutilisation, désormais maîtrisée par SpaceX et Blue Origin. Le succès récent du second vol test du lanceur réutilisable de Blue Origin, le 13 novembre, souligne encore ce fossé technologique.
Le secteur des constellations de satellites illustre la même difficulté. Le programme Iris, lancé par l’Union européenne en 2023, vise à offrir un réseau de communication sécurisé et indépendant. Mais sa mise en service n’interviendra pas avant 2030, laissant pour l’instant le champ libre à Starlink, le service d’Elon Musk, dont la domination est à peine contestée par l’opérateur français Eutelsat. L’Allemagne, forte d’un budget spatial national record de 35 milliards d’euros sur cinq ans, envisage même de lancer sa propre constellation. Une telle initiative pourrait fragmenter un peu plus l’effort européen au lieu de le consolider.
Le recul relatif de la France
La France ne joue plus le rôle moteur qui était historiquement le sien, puisque, contrainte par la situation de ses finances publiques, elle prévoit une contribution comprise entre 3 et 3,5 milliards d’euros, se laissant distancer par l’Italie qui envisage de porter sa participation à 4 milliards.
Cette redistribution des cartes inquiète l’industrie française. En effet, l’ESA applique le principe du « retour géographique », qui prévoit que les projets et contrats attribués aux industriels d’un pays soient globalement proportionnels à la contribution financière de ce dernier. Si la participation française stagne, les entreprises hexagonales risquent de voir leur volume de commandes plafonner également.
L’impact des incertitudes américaines
Les difficultés budgétaires aux États-Unis ajoutent une autre source d’inquiétude. Plusieurs missions européennes reposent sur la fourniture de composants américains essentiels, que la NASA pourrait peiner à livrer en raison des coupes décidées par l’administration Trump.
Le cas le plus emblématique est celui de Rosalind-Franklin, le rover martien européen. Initialement prévu pour 2018, il a accumulé retards techniques et contretemps géopolitiques après la rupture de coopération avec l’agence russe Roscosmos. Désormais, sa survie dépend de deux éléments fournis par la NASA : le lanceur qui doit l’expédier vers Mars et une unité de chauffage nucléaire indispensable pour protéger ses instruments du froid martien. Si ces éléments venaient à manquer, l’ESA devrait trouver des alternatives. Deux autres missions majeures pourraient aussi nécessiter des plans de secours :
EnVision, une sonde destinée à l’étude de Vénus à l’horizon 2031 ;
LISA, le futur observatoire spatial des ondes gravitationnelles, dont le lancement est prévu vers 2035.
Même l’Earth Return Orbiter, élément européen central de la mission Mars Sample Return, pourrait être réaffecté si la mission américaine est annulée. L’ESA réfléchit déjà à un éventuel projet alternatif, provisoirement appelé « Zefero ». Sa décision ne sera toutefois pas prise lors de la réunion ministérielle, les Européens attendant d’y voir plus clair dans les débats budgétaires américains.







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