L’eau, une situation extrême au Mena
- Soundouce YALAOUI
- 22 févr.
- 3 min de lecture

La rareté de la ressource
Dans le monde arabo-musulman, l’eau est une ressource précieuse, inégalement répartie et souvent rare. La région du MENA, qui représente environ 7 % de la population mondiale, ne dispose que d’1 % des réserves mondiales d’eau douce. La quantité moyenne d’eau disponible par habitant y est préoccupante : avec 933 m³ par an et par personne, elle se situe sous le seuil critique de 1 000 m³, marquant une situation de pénurie qui ne fait que s’aggraver. Les projections pour 2030 sont encore plus alarmantes, annonçant une moyenne de 564 m³, proche du seuil critique de 500 m³ par habitant. Derrière ces chiffres globaux, de grandes disparités existent.Cinq pays (Turquie, Irak, Afghanistan, Iran, Liban) dépassent les 1 000 m³ par an et par habitant. Grâce à leurs montagnes et leurs fleuves, ils concentrent à eux seuls 77 % des ressources en eau de la région, alors qu’ils n’abritent que 44 % de sa population. Toutefois, même au sein de ces pays, l’eau est inégalement répartie. À l’inverse, onze pays figurent parmi les plus démunis en ressources hydriques, avec moins de 200 m³ par habitant et par an. Parmi eux, on retrouve notamment le Qatar (29), les Émirats arabes unis (63) et la Libye (94).Les enjeux liés à l’eau sont considérables, avec des répercussions indirectes majeures. Une étude de l’American Meteorological Society, publiée en juillet 2014, a mis en évidence le lien entre les sécheresses qui ont frappé la Syrie entre 2006 et 2011 et l’exode rural qui en a découlé, alimentant le chômage urbain. Ce contexte de crise sociale a constitué un terreau favorable aux événements de 2011 qui ont plongé le pays dans la guerre civile.
Le rôle des fleuves
Dans cette région aride, les fleuves jouent un rôle clé dans l’approvisionnement en eau, créant une forte dépendance. Sur les 933 m³ d’eau disponibles par habitant et par an, seulement 416 m³ proviennent de ressources internes, tandis que près de 300 m³ sont issus de sources externes, notamment de fleuves allogènes comme le Nil, le Tigre et l’Euphrate. Ces cours d’eau, dont le débit peut être contrôlé par les pays situés en amont, sont essentiels pour quatre États en particulier : l’Égypte, qui en dépend totalement, ainsi que l’Irak, la Jordanie et la Syrie, pour qui cette dépendance est partielle.Au-delà de leur importance économique – essentielle pour l’agriculture, l’industrie et la production énergétique (raffinage du pétrole, hydroélectricité) – les fleuves sont également des instruments de pouvoir géopolitique. Ils servent parfois de frontières naturelles, soit par la ligne de partage des eaux (qui délimite les bassins hydrographiques), soit par le talweg (le point le plus bas d’une vallée). Un exemple marquant est l’accord de 1975 à Alger, qui accorda à l’Iran le contrôle du Chatt el-Arab, la confluence du Tigre et de l’Euphrate, après une occupation militaire de trois îlots, profitant d’une faiblesse du régime irakien alors confronté à une révolte kurde. Ce différend territorial fut l’un des prétextes à la guerre Iran-Irak en 1980. La résolution 598 de l’ONU, en 1988, établit par la suite un partage équitable des eaux, bien que la dispute portât également sur les réserves pétrolières du sous-sol.Les tensions autour des fleuves ne se limitent pas à cette région. Par exemple, l’Égypte et le Soudan exploitent l’essentiel des ressources du Nil, alors que 85 % de son débit provient d’Éthiopie. Cette dernière, en pleine expansion agricole et démographique, a profité de la révolution égyptienne de 2011 pour lancer le projet du barrage de la Renaissance, suscitant de vives inquiétudes en aval. Le contentieux entre l’Égypte et l’Éthiopie s’inscrit dans une opposition de longue date, renforcée par des enjeux stratégiques. La scission du Soudan en 2011 a également modifié la donne en remettant en question un projet majeur : le canal de Jonglei, qui visait à détourner une portion marécageuse du Nil pour limiter l’évaporation et accroître le volume d’eau disponible pour l’Égypte et le Soudan. Désormais, l’Éthiopie, alliée historique des indépendantistes du Sud-Soudan, pourrait bénéficier de cette scission pour asseoir son influence sur le Nil Blanc, en plus de son contrôle sur le Nil Bleu.
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