Les élections européennes : vers la désunion de l’Union ?
- Léo Mustafovic
- 21 mai 2024
- 5 min de lecture
« Notre Europe aujourd’hui est mortelle. Elle peut mourir et cela dépend uniquement de nos choix » disait Emmanuel Macron lors de son discours du 25 avril à la Sorbonne. L’Union Européenne semble être à un tournant de son histoire : ses citoyens auront donc le droit de vie ou de mort sur celle-ci début juin.

Désireuse de faire de l'Italie le "centre du changement de ce qui ne fonctionne pas en Europe", la première ministre italienne Giorgia Meloni a annoncé le 28 avril dernier sa candidature aux élections européennes de juin prochain.
L’état de l’Europe : une cartographie politique mouvante
Actuellement, le Parlement européen compte 705 eurodéputés : plus de 2/3 sont rattachés à des partis « pro-européens ». L’Union Européenne reste donc à dominante europhile avec une dominante politique démocrate et libérale (Part populaire européen, Alliance progressiste des socialistes, Renew Europe ou encore les Verts). Les partis « eurosceptiques » sont cependant en pleine progression, que ce soit lors d’élections nationales ou européennes (PIS Pologne, Orban Hongrie, RN France, Meloni Italie).
Le BREXIT de 2020 a lui aussi éveillé les volontés d’une émancipation totale de l’UE dans
certains pays comme en Pologne avec la possibilité d’un « POLEXIT » fin 2021 sur la
question de la compatibilité entre le droit européen et le droit polonais, qui aurait pu amener à une crise totale de l’Union dont l’adhésion aurait été perçue comme possiblement rétractable. Ce basculement relativement récent, comme le montre la victoire du PVV en Hollande, parti d’extrême droite, nous montre l’élan que connaissent les partis nationalistes hostiles à l’Union Européenne (ou a minima sceptique). Ceci peut poser de nombreux problèmes de cohésion au sein de l’Union, ce qui complique les stratégies géopolitiques à long terme et ce qui pose un problème de fond dans le processus décisionnel avec une Union qui semble toujours avoir un temps de retard (comme ce fut le cas sur la question du Covid, montrant l’absence d’un fédéralisme
profond en matière de santé). Les élections posent donc la question de la nature de l’Union Européenne et de son avenir : les basculements politiques et les possibles élargissements influenceront grandement la dynamique du vieux continent.
Ainsi, l’existence d’une Europe à géométrie variable prédomine : les pays de l’Union
participent à l’intégration au niveau qu’ils veulent, sur certaines questions précises. Le
fédéralisme paraît encore loin.
Une entité divisée sur de nombreuses questions
La question principale pour les opinions publiques européennes reste celle de la guerre
en Ukraine : le conflit, étant aux portes de l’Europe, mobilise les populations notamment en Europe de l’Est (pour la Pologne et les Pays Baltes). La guerre semble être l’un des derniers terrains d’entente entre les Etats membres même si certains partis nationalistes demeurent ambigus sur la question, comme le RN en France, Matteo Salvini en Italie ou encore Victor Orban en Hongrie qui restent historiquement très proches de la Russie poutinienne contrairement à Meloni en Italie ou au PIS en Pologne. Bien que la guerre ait mobilisé l’Union dans un objectif de soutien et d’aide envers l’Ukraine, les voix russophiles existent toujours.
Le changement climatique est toujours une préoccupation, notamment pour les jeunes
européens : l’UE a voulu se placer comme leader mondial, par le biais de son Pacte Vert pour l’Europe annoncé en 2020, mais la crise du Covid et la guerre en Ukraine ont fait dévier l’attention de Bruxelles. L’UE ne semble pas avoir concrétisé son avance sur la Chine ou les Etats-Unis, pour qui le marché des voitures électriques et des panneaux solaires est en constante expansion. La crise énergétique européenne a fait réapparaître cette question de la transition, notamment en Allemagne, en plus de celle des partenariats stratégiques en termes d’approvisionnement. La question du pouvoir d’achat des européens reste essentielle, en particulier pour les pays vus comme « perdants » de la répartition budgétaire de l’UE par le biais des politiques de la BCE et du FEDER, c’est-à-dire la France et l’Italie, contrairement à l’Allemagne ou aux Pays-Bas. Ainsi, l’avènement totale d’une Europe libérale reste une préoccupation électorale sur de nombreux secteurs comme l’agriculture avec de nombreuses critiques de la PAC ou encore pour l’industrie avec une critique du déficit de compétitivité des
pays d’Europe de l’Ouest face au pays d’Europe de l’Est.
L’enjeu migratoire divise encore les opinions et pays, comme nous le montrent les intentions de vote qui diffèrent énormément sur ce sujet d’un pays à l’autre : Frontex, bien que bras armé de l’UE pour le contrôle des flux humains, est critiqué pour ses violations des droits de l’homme et son opacité. Les partis nationalistes utilisent comme argument central cet enjeu, critiquant l’inefficacité de Frontex mais aussi l’hétérogénéité des pays en matière d’immigration : l’Allemagne est historiquement le plus favorable, notamment lors de la vague de 2015, contrairement aux pays d’Europe de l’Est comme la Hongrie et la Pologne qui ont refusé tout migrant durant cette période. La situation a changé avec la guerre en Ukraine et l’émigration massive d’Ukrainiens vers l’Europe, attisant la solidarité des ex-républiques socialistes face à l’ennemi russe.
Une campagne à enjeu global
L’UE semble avoir opéré un pivot stratégique vers l’Est avec la guerre en Ukraine : le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie, République Tchèque) reprend toute son importance, s’accompagnant de la volonté de l’UE de multiplier les aides financières et militaires, voire d’accélérer le processus d’adhésion à l’Union. L’arbitrage entre élargissement et approfondissement influencera la place et le rôle de l’UE sur la scène continentale et internationale, notamment du côté de l’Europe de l’Est (Serbie, Ukraine) et voire au-delà du Caucase (Géorgie). Les résultats des élections influenceront donc la position de l’UE dans le conflit, et surtout la position des différents pays au sein de l’OTAN : la Finlande et la Suède l’ont rejoint en 2023 et 2024. La question d’une défense européenne commune a revu le jour à la suite de l’invasion russe, mais les citoyens et gouvernements européens ne semblent pas encore prêts à un tel niveau d’intégration, ce qui ferait renoncer les états membres à toute autonomie stratégique. Le couple franco-allemand est lui aussi en pleine remise en question : l’Allemagne semble vouloir s’affirmer de plus en plus en matière de défense, secteur dans lequel la France était le leader et le moteur européen, provoquant un possible déséquilibre.
De plus, la place de l’UE face au duopole sino-américain reste en suspens : l’UE a alterné
entre une fidélité envers les Etats-Unis au moment de la guerre économique de 2019 et une ouverture diplomatique envers la Chine en 2020. La guerre en Ukraine ainsi que l’enquête de la Commission européenne sur les voitures électriques et les panneaux solaires chinois a fait inverser la dynamique, malgré la récente visite d’Olaf Scholz en Chine (sans aucun représentant européen contrairement à celle d’Emmanuel Macron accompagné d’Ursula von der Leyen en 2023). L’UE cherche toujours à se placer comme une « troisième voie », défendant ses intérêts et les valeurs européennes : la boussole stratégique semble prendre forme petit à petit, avec comme catalyseur les différentes crises exogènes qu’a subi l’Union (Covid, guerre en Ukraine, changement climatique…).
Le temps est donc aux décisions pour les citoyens européens. Rendez-vous entre le 6 et 9 juin…
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