Méditerranée : le pire naufrage de bateau depuis 2016
- Tessa Limbach
- 19 juin 2023
- 4 min de lecture
« Si nous ne faisons rien, la Méditerranée deviendra une mer de sang », déclarait déjà en 2019 une porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Pourtant, un navire de pêche parti de Libye a coulé dans la nuit du 13 au 14 juin, faisant au moins 78 morts.

Un bilan lourd : au moins 78 morts au large de la Grèce
Dans la nuit de mardi à mercredi, un chalutier transportant au moins 750 migrants, dont une centaine d’enfants dans la cale, partis de Libye pour rejoindre les côtes italiennes, a coulé au large de la Grèce en mer Ionienne. Les garde-côtes précisent qu’aucun des passagers n’était équipé d’un gilet de sauvetage. 78 personnes sont officiellement décédées et des centaines d’autres sont toujours portées disparues. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dit « redouter que des centaines de personnes supplémentaires » se soient noyées. Neuf Égyptiens ont été arrêtés à Kalamata, en Grèce, soupçonnés d’être les passeurs, parmi lesquels se trouvaient le capitaine présumé du bateau. Ils sont soupçonnés de trafic illégal d’êtres humains.
Selon les autorités portuaires grecques, un avion de surveillance de l’agence européenne Frontex avait déjà repéré le bateau mardi après-midi mais n’était pas intervenu car les passagers auraient « refusé toute aide », ce que confirment les autorités grecques. Cette version a rapidement été contestée par les ONG, ainsi que par le témoignage d’une assistante sociale bénévole pour la ligne d’urgence Alarm Phone, qui affirme avoir reçu mardi matin un SOS du bateau, que le capitaine avait abandonné, laissant les migrants déboussolés et souffrant de déshydratation à bord. A 1h40 du matin, le bateau signalait une panne de moteur, une demi-heure plus tard, l’embarcation avait coulé.
La police portuaire, une frégate de la marine de guerre grecque, un avion, un hélicoptère de l’armée de l’air ainsi que six bateaux ont participé à l’opération de sauvetage, permettant de secourir 104 personnes pour le moment.
Les migrations en Méditerranée, soit 27 047 migrants portés disparus depuis 2014
Les migrations via la Méditerranée ont une longue histoire. La mobilité humaine à travers cette mer existe depuis des milliers d’années. Plus récemment, depuis le milieu des années 1990, des milliers de personnes traversent chaque année en bateau depuis les côtes nord de l’Afrique et de la Turquie pour demander l’asile ou migrer vers l’Europe si elles n’ont pas les documents requis.
Cependant, la mer Méditerranée est considérée comme « plus dangereuse que jamais » pour les migrants, selon l’UNHCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés), en raison des capacités de sauvetage plus faibles des ONG et des risques accrus que les passeurs font prendre aux migrants. On estime que, depuis 2014, 27 047 migrants sont portés disparus en mer, selon le Projet Migrants Disparus de l’Organisation Mondiale pour les migrations.
La Grèce a connu de nombreux naufrages, mais il s’agit ici du bilan humain le plus lourd depuis le 3 juin 2016, naufrage au cours duquel au moins 320 personnes avaient péri, et celui du 19 avril 2015, durant lequel environ 800 personnes étaient décédées, ce qui en a fait l’évènement le plus meurtrier en Méditerranée depuis le début du XXIème siècle. Depuis janvier 2023, 44 personnes sont mortes noyées en Méditerranée orientale, d’après l’OIM.
Un problème politique : le combat permanent entre ONG et États européens
Une question fait polémique depuis le naufrage : ce drame aurait-il pu être évité ? Différentes personnalités politiques se sont emparées du sujet pour défendre leur point de vue en matière d’immigration. Le réel conflit se situe cependant entre les États européens et les ONG.
D’une part, ces dernières sont accusées d’aide à l’immigration illégale ou de contact avec les passeurs, par les pays membres de l’Union Européenne. Les ONG, de leur côté, reprochent aux États leur manque d’action, ainsi que leur faculté à détourner le regard. Elles les accusent de compliquer les démarches afin de retarder la tâche des navires humanitaires. SOS Méditerranée et Médecins sans frontières ont déclaré dans un communiqué : « Les noyades se multiplient pendant que les gouvernements européens bloquent les secours humanitaires en Méditerranée. ».
Le sujet migratoire revient dans les débats européens à la demande d’États membres tels que l’Autriche ou les Pays-Bas, ce qui a donné lieu à des discussions lors du sommet européen à Bruxelles le 9 février 2023. Les débats ont été extrêmement vifs, avec certains pays comme l’Autriche qui réclamaient un financement de la part de Bruxelles pour installer des « clôtures frontalières » et des barrières, d’autres comme le Luxembourg qui soutenait l’inutilité d’une telle solution. Actuellement, on dénombre au moins 12 pays de l’espace Schengen ayant érigé des barrières physiques à leurs frontières pour empêcher les entrées illégales de migrants.
On note finalement un durcissement de l’Union européenne en matière de politique migratoire. En conclusion du sommet, Ursula von der Leyen a évoqué des « infrastructures mobiles et fixes, des voitures aux caméras, des tours de contrôle aux dispositifs de surveillance électronique ». Certains pays critiquent la marge d’interprétation laissée par le terme d’« infrastructures », tandis que d’autres vont jusqu’à qualifier l’Union européenne d’Europe-forteresse.
Comments