Sabotage de Nord Stream I et II : qui est responsable ?
- Skander Hamza
- 13 mars 2023
- 4 min de lecture
Les gazoducs Nord Stream I et Nord Stream II ont été la cible de plusieurs actes de sabotage au cours des dernières années, le plus remarquable étant celui du 26 septembre 2022, qui a entraîné des perturbations significatives dans l'approvisionnement en gaz naturel de l'Europe. Le sabotage de ces infrastructures énergétiques essentielles a suscité des préoccupations quant à la sécurité énergétique de l'Europe, ainsi qu'à la relation entre la Russie et les pays européens. Bien que le coupable reste indéterminé, des évolutions de l’enquête allemande ont conduit le New York Times à rapporter l'implication d'un "groupe pro-ukrainien" non affilié à Kiev.

Un projet aux racines controversées
Le gazoduc Nord Stream 1, un projet datant de 1997, a été inauguré en 2011 et transporte du gaz naturel russe à travers la mer Baltique jusqu'en Allemagne. Cet élément clé de l'approvisionnement énergétique allemand contourne les routes traditionnelles passant par l'Europe orientale. Nord Stream 2 est une extension longeant le premier gazoduc visant à ajouter 2 lignes de gazoduc. Ce projet a suscité une grande opposition dans les pays d'Europe de l'Est, en tête la Pologne, ainsi que des inquiétudes concernant la place de Gazprom, propriétaire du gazoduc, dans le marché énergétique européen.
Washington s'est également insurgé contre ce qui est vu comme une extension de l'influence russe en Europe. En 2017, le Sénat américain a menacé de sanctions (amendes, exclusions d'appel d'offres) les entreprises européennes participant à la construction du gazoduc, notamment Engie, Shell et Uniper. Lors du sommet de l'OTAN du 11 juillet 2018, le président américain Donald Trump a accusé l'Allemagne d'être "prisonnière" de la Russie à cause du projet de gazoduc Nord Stream 2 et a exigé son abandon. La réponse russe a été claire : Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe, a affirmé qu'"un État avec une dette publique de 22 000 milliards de dollars interdit à des pays solvables de développer leur économie réelle", y voyant "l'idéologie américaine [qui] ne supporte pas la concurrence mondiale".
L'Union européenne est également intervenue en infligeant des amendes à Gazprom pour non-respect de ses directives. En 2020, la Cour de justice européenne a refusé d'accorder à Gazprom une exception - le projet précède les directives en question. En Allemagne même, le projet fait débat : les Verts, le FDP et certaines factions du CDU sont contre le projet, tandis que Merkel insiste et que l'ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder s'accroche à son poste au conseil d'administration de Gazprom. Les sanctions américaines tendent grandement les relations entre Washington et Berlin.
La fin de Nord Stream
Des associations allemandes de défense de l'environnement ont réussi à arrêter les travaux au printemps 2021 grâce à un procès. En même temps, l'administration Biden est revenue sur le projet de sanctions. Le 10 septembre 2021, Gazprom a annoncé la fin des travaux, mais la validité du projet est encore en suspens pour des questions d'accès concurrentiel. Finalement, suite à la reconnaissance de deux républiques indépendantistes en Ukraine par Poutine, le chancelier allemand Olaf Scholtz a suspendu indéfiniment le processus d'approbation le 22 février 2022.
À la suite des sanctions, l'opérateur filial de Gazprom Nord Stream SA a rapidement déposé le bilan et la livraison de gaz à travers Nord Stream 1 a été interrompue. Dans le nouveau contexte de guerre en Ukraine, ce gazoduc est devenu controversé et le conflit a donné raison aux nombreux ennemis du projet. Le 26 septembre 2022, des explosions et des fuites ont été découvertes dans les zones économiques danoises et suédoises. Le gazoduc contenait alors 300 millions de mètres cubes de gaz. Dès le lendemain, le Danemark a affirmé que ces explosions étaient dues à un sabotage délibéré.
Spéculation et enquêtes
Les spéculations sur l’auteur de ce sabotage vont immédiatement bon train. Les yeux se tournent rapidement vers la Russie ; l’Ukraine déclare y voir « une attaque terroriste planifiée par la Russie et un acte d'agression contre l'UE ». L’intérêt de la Russie aurait été d’aggraver la crise énergétique et de faire pression sur le coût du gaz, bien que les deux gazoducs étaient à l’arrêt et que leur réparation soit aux frais de Gazprom.
Les États-Unis, qui n'ont pas soulevé l'implication russe, ont également été pointés du doigt en raison de leur position antérieure de farouche adversaire du projet et de l'intérêt des producteurs de Gaz Naturel Liquéfié à perturber les routes d'approvisionnement européennes, notamment celles de la Russie et des politiques européennes. La Russie a également accusé le Royaume-Uni. La presse américaine a parlé d'une entreprise privée ukrainienne à l'origine du sabotage, cependant, le lien avec l'État ukrainien n'a pas été élucidé.
Dans les jours suivant l'attentat, des enquêtes ont été ouvertes au Danemark, en Suède, en Russie et en Allemagne, mais la quantité d'explosifs nécessaires a posé des problèmes aux enquêteurs. Le 8 mars 2023, le parquet fédéral allemand a annoncé qu'un bateau à l'origine du sabotage avait été fouillé, et dans la journée, le New York Times a parlé d'un groupe pro-ukrainien non affilié à Kiev comme la source des attentats. Le bateau susmentionné aurait été loué à une entreprise polonaise détenue par des Ukrainiens. Cela a été immédiatement démenti par Kiev. Pour le New York Times, ces révélations ne donnent « aucune conclusion ferme » et « laissent ouverte la possibilité que l'opération ait été lancée en secret par une force tierce ayant des liens au sein du gouvernement ukrainien ou ses services de sécurité ».
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