Une Irlande réunie est-elle d'actualité ?
- UN'ESSEC
- 24 févr. 2020
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Depuis la victoire de Sinn Fein et de son parti nationaliste aux élections législatives de la République d’Irlande le 8 février dernier, la possible réunification de l’Irlande est sur toutes les bouches.
Un statu quo stable... Cela fait presqu’un siècle que la République d’Irlande a gagné son indépendance du Royaume-Uni et deux partis se sont toujours partagés le pouvoir. Ce duopole prit subitement fin le 8 février quand Sinn Fein obtint la majorité aux élections générales. Alors que le parti reste attaché à l’armée républicaine d’Irlande (IRA), il réussit à sortir victorieux grâce à un programme de gauche qui comprenait des promesses en faveur de la santé et des logements sociaux. Seulement, ce parti porte également un désir plus profond et plus ambitieux, celui de retrouver l’unité irlandaise par référendum.
Jusqu’à alors, l’unification n’a jamais été plus qu’une fantaisie républicaine. Même quand l’IRA menait une campagne terroriste au XXème siècle, le statut constitutionnel de l’Irlande du Nord était garanti par une solide majorité protestante et par le soutien financier et militaire de l’Etat britannique. Après 3500 personnes décédées dans le conflit civil, l’accord du vendredi saint de 1998 fut conclu, mettant fin à la période de troubles. Cet accord créa un nouveau gouvernement au nord dans lequel le pouvoir serait partagé entre les deux communautés, reconnaissant ainsi que l’Irlande du Nord faisait partie du Royaume-Uni. Beaucoup de catholiques se sont alors satisfaits d’avoir cette représentation au Parlement de l’Irlande du Nord tout en acceptant son rattachement au Royaume-Uni. Le statu quo semblait ainsi contenter les deux communautés. Qu’est-ce qui a alors changé ?
...Une réunification pourtant de plus en plus probable
Le Brexit est une des raisons du bouleversement. Alors que 56% de la population nord-irlandaise vota contre, le parti unioniste et le reste du Royaume-Uni votèrent majoritairement en faveur. Le Brexit a aussi créé une frontière économique entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. L’échange de biens risque donc d’être plus facile avec le sud qu’il ne le sera avec le mainland, assurant une intégration économique croissante de l’Irlande du Nord à l’économie de la république. Enfin, la question de l’indépendance de l’Ecosse n’est pas sans conséquence pour l’Irlande du Nord : avec un second referendum en Ecosse et un possible choix de l’indépendance, de nombreux Nord-Irlandais perdront leurs liens ancestraux avec le Royaume-Uni (les protestants envoyés en Irlande pour évangéliser étaient principalement des écossais).
Mais la pression pour la réunification ne se résume pas qu’au divorce. D’ici 2021, le nombre de catholiques risque de dépasser celui de protestants pour la première fois de l’histoire du pays. Quand les 6 comtés de l’Irlande du Nord ont opté pour l’indépendance en 1922, ils pensaient qu’ils assuraient le maintien du pays sous contrôle protestant. A l’époque les protestants dépassaient largement le nombre de catholiques : ils étaient deux contre un. Cet avantage disparaissant, il apparaît de plus en plus accepté de se rapprocher de la République catholique. En parallèle, l’influence de l’Eglise catholique s’est effacée et la société est devenue plus libérale : sur trente ans, les restrictions concernant la contraception ont été levées et le mariage homosexuel a été légalisé. Beaucoup de nord-irlandais commencent ainsi à ressentir qu’une vie dans une Irlande unie ne leur serait pas si étrangère que cela. Le soutien à l’unification en Irlande du Nord a donc des raisons de grandir.
Cela nous mène à la dernière raison pour laquelle l’unification devient plausible. Si l’accord du vendredi saint a réconcilié certains catholiques avec le Royaume-Uni, il a aussi jeté les fondements d’une possible réunion pacifique du nord à la République d’Irlande. Le temps passe et une complète réconciliation semble possible. L’Union européenne a déjà déclaré que l’Irlande du Nord pourrait rejoindre les 27 sous l’adhésion de la République d’Irlande, signifiant qu’un referendum sur l’unité de l’Irlande serait aussi un second referendum sur le Brexit. La réunification se présente donc comme une opportunité pour récupérer leur identité européenne. L’Irlande du Nord rejoindrait immédiatement un club plus large, plus riche et avec lequel elle pourrait gagner d’importantes subventions, si ce n’est même plus élevées que celles actuellement données par Westminster.
Une fantaisie ?
Il est vrai que théoriquement, le chemin vers la réunification semble relativement simple. Tout d’abord, la possibilité d’un tel referendum est inscrit dans les accords du vendredi saint, fournissant une voie politique vers une Irlande unie si les deux peuples le souhaitent. S’il apparaît ainsi qu’une majorité soutient la réunification alors le Royaume-Uni doit organiser un référendum. Pour l’instant rien ne présume que cette majorité existe mais les sondages d’opinion démontrent un croissant soutien pour l’unification depuis le vote du Brexit. Il reste surtout quelques obstacles à ce scénario. Si les deux dernières décennies ont été paisibles et le Nord est devenu presque un lieu « normal », si les lieux de travail sont de plus en plus mixes et les forces de polices réformées, les écoles restent elles séparées entre les deux communautés, les logements sociaux sont aussi ségrégés et des vestiges des anciennes organisations paramilitaires persistent. La popularité de Sinn Fein ne tient pas non plus à cette ambition. Pour beaucoup l’économie et les services publics restent la priorité devant la réconciliation comme l’a porté son programme politique. Cette plausibilité devient également fragile quand on pense aux nombreuses incertitudes liées à cette réunification : quelle forme prendrait cette réunion ? Un Etat unitaire gouverné depuis Dublin ? Un gouvernement dévolu au nord ? Une confédération de deux Etats ? Faudrait-il alors un nouveau drapeau ? Un nouvel hymne ? Pour l’instant, l’île d’Irlande a besoin d’un plan. La priorité serait de travailler sur l’intégration des unionistes dans une Irlande unie : comment leur faire ressentir qu’ils y ont une place ? La réflexion doit aussi se faire sur la fusion de deux systèmes distincts en un : comment fondre par exemple deux systèmes de santé dont un est gratuit ? Que faire de l’assemblée du nord ? La grande question reste cependant cette de l’économie : comment l’uniformiser ? Aujourd’hui l’Irlande du Nord est plus pauvre que le sud, laissée pour compte depuis la désindustrialisation avec un secteur public en faillite. La réunion pourrait ainsi couter très cher à la République d’Irlande. Reste également en suspens la possible reprise des violences. Si la réunification devait ainsi se produire, le processus promet d’être lent et difficile.
Par Camille Gaborieau
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