top of page

Chine et Inde, la perspective d'une nouvelle entente

  • Augustin Bodoy
  • 23 nov. 2024
  • 7 min de lecture

Pour la première fois en cinq ans, les dirigeants indiens et chinois, Narendra Modi et Xi Jinping, se sont entretenus bilatéralement le mercredi 23 octobre à l’occasion du sommet des BRICS à Kazan, en Russie. Signe avant-coureur du réchauffement des relations entre les deux pays, Delhi et Pékin avaient annoncé le 21 être parvenus à un accord sur la Line of Actual Control, frontière disputée par les deux géants dans les régions himalayennes. Ce rapprochement peut-il être annonciateur d’une coopération de plus large envergure entre les deux géants asiatiques ?


ree

Pour la première fois depuis 5 ans, Narendra Modi et Xi Jinping se sont entretenus bilatéralement, à l'occasion du sommet de BRICS à Kazan, le 24 octobre dernier.


Entre l’Inde et la Chine, des similarités et intérêts communs pourraient pousser à une telle coopération

De nombreux points communs rassemblent, à première vue, l’Inde et la Chine, que ce soit sur le plan géopolitique, sécuritaire, démographique, tant à l’échelle régionale que mondiale. Sur le plan géographique et démographique tout d’abord, tous deux sont des États-continents, au cœur de l’Asie. Pour l’un comme l’autre, cette force peut aussi s’avérer être un poids, puisque cela nécessite des moyens conséquents pour protéger les 4000 km de frontières indiennes ou les 22 000 km de frontières chinoises. Les deux pays sont également considérés comme des “géants démographiques”, la Chine comptant 1,3 milliards d’habitants, et l’Inde, qui l’a dépassée courant 2023, 1,4 milliards. L’importance de leurs populations respectives a placé au cœur de leurs préoccupations les enjeux de développement tout au long du XXe siècle, et encore aujourd’hui. Si la Chine a su globalement relever ce défi, affichant en 2023 un PIB par habitant de 12 597 dollars selon les données de la Banque mondiale, les inégalités au sein de la population chinoise restent criantes. Cela reste cependant encore loin des 81 695 dollars par an par habitant des États-Unis…

Sur le plan sécuritaire, les deux pays ont partagé par le passé, et partagent toujours, des menaces communes. L’impérialisme occidental aux XIXe et XXe siècle en a longtemps été la principale. De 1858 à 1947, l’Inde a été sous domination coloniale britannique. Un Raj britannique, ou Empire des Indes, s’étendait alors du Pakistan à l’actuelle Birmanie. A noter également la présence, dès 1668 et jusqu’à 1954, de comptoirs français, à Pondichéry, Chandernagor, Mahé, Yanaon et Karikal. Si la Chine n’a pas connu, au contraire de l’Inde, une domination coloniale à proprement parler des puissances occidentales, celle-ci a été fortement malmenée, politiquement, économiquement et militairement. Largement défaite lors des guerres de l’opium, de 1839 à 1842 puis de 1856 à 1860, la Chine se voit imposer une série de traités inégaux, la privant notamment de Hong Kong au profit de la Grande Bretagne, qui obtient également l’ouverture des ports chinois et le droit de co-décider des droits de douane de la Chine, droits que les Français et les Américains vont également s’octroyer, et se voit imposer des emprunts à intérêts très élevés. Le XIXe siècle est toujours perçu par le gouvernement chinois comme le siècle des humiliations. Aujourd’hui, Chine et Inde partagent la menace terroriste sur leurs territoires respectifs, qui représente un enjeu sécuritaire majeur pour les deux pays. En Inde, cette menace est surtout originaire du Pakistan, et s’exprime d’abord dans la région du Cachemire, contestée entre les deux pays. En 2019, l’attentat de Pulmawa, revendiquée par le groupe terroriste pakistanias Jaish-e-Mohammed fait 46 morts, en plein coeur de l’Etat du Jammu-et-Cachemire, en Inde. En Chine, la principale menace qualifiée de “terroriste” par le régime est ouïghoure. La communauté musulmane du Xinjiang, victime de persécutions et de répressions depuis plusieurs années, a en effet constitué une résistance dans les Etats voisins de l’Afghanistan et du Kirghizstan. 

Sur la scène internationale, enfin, les deux puissances nucléaires partagent des ambitions et intérêts stratégiques similaires : volonté de s’imposer comme leaders incontestés du « Sud global », de concurrencer les puissances occidentales et de s’affirmer comme modèles en Asie et dans le monde. La création du groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) créé en 2001 et devenue BRICS en intégrant l’Afrique du Sud en 2011, puis BRICS + en accueillant l’Egypte, l’Iran, les Émirats Arabes Unis et l’Ethiopie en 2024, illustre cette volonté commune de constituer un contrepoids face aux pays de l’OCDE. L’Inde a également rejoint l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) en 2017. Ce groupe multilatéral a pour ambition officielle de lutter contre les mouvements fondamentalistes et séparatistes en Asie. Dans les faits, celle-ci sert surtout la diplomatie chinoise, dont l’objectif est depuis le début des années 1990 de nouer des partenariats stratégiques avec les pays susceptibles de lui permettre de faire contrepoids face à l’Occident. Toutefois, cette coopération entre les deux géants asiatiques s’est jusqu’à présent révélée compliquée... 


Loin d’être partenaires, Chine et Inde sont d’abord concurrents

Concurrents pour le contrôle de territoires himalayens, concurrents dans l’Indopacifique, concurrents en matière d’influence régionale en Asie… Si Pékin et Delhi ont annoncé avoir trouvé un accord concernant la Line of Actual Control, qui jusqu’à présent séparait l’Inde de la région de l’Aksai Chin, occupée militairement par la Chine et revendiquée par l’Inde, les deux pays se sont affrontés à plusieurs reprises dans la région. Dernièrement, ces affrontements se déroulaient à mains nues, afin d’éviter une escalade de violence entre les deux puissances. La Chine revendique également la région de l’Arunachal Pradesh, au nord-est de l’Inde. En 2022, forces indiennes et chinoises se sont notamment affrontées dans la région, faisant plusieurs dizaines de blessés.

Sur le continent asiatique, Chine et Inde rivalisent également pour étendre leur influence. Puissance incontournable dans la région, la Chine a notamment initié un rapprochement avec le Pakistan, ennemi juré de l’Inde, en annonçant la création d’un corridor économique entre les deux pays en 2015, consistant en la construction d’infrastructures de transports reliant Kashgar à Gwadar. En contrepartie, les navires de l’armée chinoise disposent de facilités de mouillage dans le port de Gwadar, facilitant la présence militaire chinoise en Indopacifique, nouveau centre de gravité géopolitique mondial. Au Sri Lanka également, et alors même que l’Inde et le Japon avaient été initialement choisis par le gouvernement sri lankais pour la construction du port en eaux profondes de Colombo, c’est finalement la China Harbour Engineering Company qui s’est acquittée de cette mission, en échange là aussi de facilités de mouillage pour la flotte chinoise. Cette présence accrue de la Chine à proximité de ses côtes inquiète particulièrement l’Inde, ainsi que son empreinte maritime croissante dans l’océan indien, au sein duquel l’Inde désire s’imposer en puissance incontournable. Pour parvenir à cette ambition, l’Inde s’est dotée d’une série d’outils. Tout d’abord, des bases militaires dans l’archipel des Lakshadweep, à 250 km au nord des Maldives, ainsi que dans les îles Andaman et Nicobar. L’Inde est également l’un des pays fondateurs de l’Association des Etats riverains de l’Océan Indien (IORA), organisation multilatérale créée en 1997 visant à créer une communauté d’Etats côtiers de l’Océan Indien, et qui rassemble une vingtaine de pays membres. L’influence indienne dans la région rayonne également par sa diaspora, très présente en Afrique de l’Est, dans les Maldives et dans la péninsule arabique.

Sur la scène internationale, enfin, les deux pays ne sont pas toujours alignés, loin de là. Au niveau du modèle que chacun souhaite renvoyer, tout d’abord, l’Inde tire profit de son statut de “plus grande démocratie du monde”, quand la Chine est dirigée depuis 1949 par un parti communiste autoritaire. Au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine s’est toujours montrée réticente à l’élargissement du Conseil à de nouveaux membres permanents, qui octroierait vraisemblablement à l’Inde un siège définitif. La politique indienne sur la scène internationale s’est également révélée à bien des égards ambivalente, oscillant entre une connivence avec les puissances occidentales et une volonté de s’imposer comme l’un des leaders du Sud global. Membre de l’Organisation de la coopération de Shanghai et des BRICS, l’Inde a pourtant rejoint le QUAD (dialogue quadrilatéral pour la sécurité), aux côtés des Etats-Unis, de l’Australie et du Japon, dont l’objectif a été clairement défini comme la nécessité d’endiguer la puissance chinoise dans l’Indopacifique. 


L’Inde ne fait pas (encore) le poids

Cette concurrence, loin d’être équilibrée, reste encore très largement à l’avantage de la Chine. Si Pavan K. Varma mise, dans Le Défi Indien, sur un XXIe siècle dominé par la puissance indienne, c’est pour le moment bien la Chine qui semble avoir pris la tête de ce XXIe siècle. Sur le plan économique notamment, le décalage est criant. La Chine dispose aujourd’hui du deuxième PIB mondial, s’élevant à 17 milliards de dollars selon les données de la Banque mondiale, derrière les Etats-Unis, quand l’Inde, loin derrière, n’affiche que 3 milliards de dollars en 2023. Idem pour le PIB par habitant, si la Chine constate encore de fortes inégalités sur son territoire, elle a su l’élever à 12 597 dollars par an, contre 2 484 dollars pour l’Inde. Les relations économiques entre les deux pays sont largement au désavantage du pays hindou. En 2022, les relations commerciales entre les deux pays se sont élevées à 135,9 milliards de dollars, mais ont comptabilisé 118,5 milliards de dollars d’exportations chinoises contre seulement 17,4 milliards de dollars d’exportations indiennes. Loin d’être au niveau d’un partenariat économique, ces relations prennent bien plus la forme d’une dépendance indienne envers l’industrie chinoise. Si cette dernière a permis, couplée à une main-d’oeuvre abondante et bon marché, à la Chine de devenir l’atelier du monde, l’industrie indienne, elle, peine à connaître un véritable take-off, et ce malgré la présence, là aussi d’une main-d’oeuvre abondante et peu chère. 

Sur le plan diplomatique également, Pékin brille bien plus que Delhi. La Chine a su étendre son influence au reste de l’Asie, mais aussi au reste du monde, en particulier dans les pays du Sud, grâce à sa diplomatie du “carnet de chèque”, offrant souvent les services de ses entreprises spécialisées dans la construction d’infrastructures, ou par le biais de la China Development Bank. Le projet phare de cette diplomatie, la Belt and Road Initiative (BRI), s’est étendu à 68 pays dans le monde entier. Pour étendre son influence, la Chine prend également appui sur une diaspora de près de 40 millions de personnes, la première au monde, même si l’Inde occupe la deuxième place, s’élevant à une vingtaine de millions de personnes. 


Bien qu’ils soient pour le moment plus concurrents que partenaires, le rapprochement de la Chine et de l’Inde reste à surveiller de près. Leur prise de position commune sur des points chauds de la géopolitique actuelle, à commencer par les conflits en Ukraine et à Gaza, pourrait bien discréditer encore les positions occidentales aux yeux des pays du Sud, à commencer par celles des Etats-Unis. 



Commentaires


Ajouter un titre.png

Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir nos dernières publications

  • LinkedIn
  • instagram
  • facebook

©2023 by La UN'e.

bottom of page