La nouvelle guerre du Pacifique
- Alexandre Lacouture
- 23 nov. 2024
- 4 min de lecture
Le lundi 14 octobre, la Chine a déployé un nombre record d’avions et de bateaux de guerre (respectivement 150 et 14) lors d’une manœuvre d’encerclement de Taiwan. Cette démonstration de force a entraîné un déploiement militaire de la part de l'île ainsi que du Japon qui a envoyé des avions sur la zone. La manœuvre n’aura cependant duré qu’une journée.

Un navire chinois en exercice dans le détroit de Formose.
Des provocations Chinoises incessantes
A l’occasion de la fête nationale taïwanaise le 10 octobre, le président Lai Ching-te, qui a pris ses fonctions cette année, a prononcé un discours dans lequel il rappelait l’importance pour la « République de Chine » de sa souveraineté. La réponse ne s’est pas fait attendre et a donné lieu à la plus grande démonstration militaire de la part de la Chine depuis la visite de Nancy Pelosy en août 2022, baptisée Joint Sword-2024B. Loin de se laisser impressionner, le président taiwanais à réaffirmer sa détermination à défendre la république, ce à quoi le ministre de la Défense chinois a répondu que la Chine ne renoncerait jamais à recourir à la force pour conquérir Taiwan. Ces « exercices » font craindre un risque d’accident vivement dénoncé par la maison blanche qui appelle au dialogue pour résoudre ce conflit. La Chine cherche à pousser à la faute Taiwan depuis quelques années avec la dégradation des relations sino-taïwanaise en 2016 et l’élection du précédent président Tsai Ing-Wen. La Chine opère ainsi une forte pression obligeant l’armée à être constamment sur le qui-vive. Un lieutenant-colonel de l’armée chinoise allait même jusqu’à affirmer sur CCTV que le combat pouvait éclater à tout moment. Il est cependant à craindre que l'île ne soit pas en mesure de repousser l’envahisseur malgré le soutien Américain. Les avions Taïwanais sont par exemple des F-16 et des Mirages 2000 vieillissants.
Il faut cependant noter que la Chine souhaite choisir son moment et qu’elle ne semble pas prête à envahir Taiwan pour le moment, comme le montre l’utilisation de ses forces « alternatives ». Elle utilise ainsi ses gardes côtes, qui possèdent par ailleurs des bâtiments de taille et d’aspect souvent militaire, pour contrôler des bateaux de pêche taiwanais plutôt que son armée régulière. La multiplication des entraînements grandeur nature souligne aussi le manque d’expérience de l’armée chinoise qui n’a jamais participé à un conflit ouvert et qui manque ainsi de coopération entre ses différentes forces.
Une lutte sur tous les plans
Cependant, la stratégie d’influence de la Chine dans le Pacifique ne se cantonne pas à la démonstration de force et elle sait aussi se faire cajoleuse. C’est par exemple le cas avec les îles Salomon qui ont signé avec la Chine en 2022 un accord de sécurité prévoyant des déploiements sécuritaires et navals chinois dans l’archipel du Pacifique. Depuis, elle a bénéficié d'importantes subventions et prêts chinois pour favoriser le développement et la construction d'infrastructures. Ce type de financement, qui a connu un pic en 2016, s'est quelque peu réduit après la crise du COVID-19 qui a sérieusement endommagé le tissu économique chinois. Toutefois, cette stratégie, allié à un renforcement des échanges commerciaux (de 153 millions en 1992 à 5,3 milliards en 2021 avec les Pays Insulaires du Pacifique (PIC) se montre particulièrement efficace auprès d’eux. La république de Nauru ainsi que les îles Salomon ont ainsi rompu les relations diplomatiques avec Taiwan après que des entreprises d’Etat Chinoises aient remporté l’appel d’offre pour le développement des ports principaux de ces archipels.
Néanmoins, l’objectif officieux de la Chine à travers ces collaborations est bien sûr d’assujettir ses partenaires à travers un régime de dépendance afin de mieux les contraindre dans le cadre de la guerre politique qu’elle mène contre l’occident et ses alliés. Typiquement, la Chine avait largement favorisé le développement commercial du tourisme à destination des Chinois au Palaos avant d’imposer brutalement des restrictions à ce secteur, plaçant le pays dans une situation économique précaire et amenant la population à manifester pour une politique favorable à la République Populaire de Chine, ce qui n’a pour autant pas fait plier le Sénat. Toutefois le Lobbying Chinois a finalement fait annuler par ce dernier le projet d’installation de défense antimissile Patriot Américain.
Plus alarmant, les mesures de soutiens et de développement de la Chine viennent souvent avec un lot d’activités illicites et de corruption qui vise à déstabiliser durablement les démocraties de ses partenaires.
Le soutien occidental
Il faut aussi noter que la région indopacifique n’est pas pleinement séduite par l’aide américaine. En effet, d'après John Hennessey-Niland, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Palaos, les habitants de la région estiment que les Etats-Unis se sont montrés en partie négligents vis-à-vis d’eux. Toutefois, après le mandat de Trump qui avait mis le pays en retrait, l’administration Biden a eu à cœur de renforcer sa politique dans l’Indopacifique.
De ce fait, la liste des comptes rendus officiels du Département d’État durant les quatre premiers mois de 2024 représente bien l’implication sur le moyen et long terme des Etats Unis dans la région. En effet, sur un total de 189 comptes rendus, 48 en font état alors que le reste concerne en grande majorité l’Ukraine et le conflit à Gaza. Les accords avec le Japon, la Corée du Sud et les Philippines se sont ainsi intensifiés et comportent des volets militaires, économiques et politiques développés. À cette occasion, un rapprochement entre le Japon et la Corée s’est même opéré après des années de tensions, soulignant l’urgence de faire front commun.
Les Etats-Unis ne sont d’ailleurs pas les seuls à intensifier leurs efforts dans la région. La France se démarque tout particulièrement. Bien qu’elle ait réduit sa présence militaire depuis une dizaines d'années, elle adopte une posture innovante face à la polarisation qui s’impose aux PIC en leur offrant une voie de non-alignement. Elle souhaite adopter une posture de facilitateur et défend la sécurité régionale ainsi que la liberté des mers.
Ainsi, si la Chine tente d'accroître son influence dans l’indopacifique, elle le fait par des moyens différents que celui du Japon en son temps, consciente de l’impossibilité d'attaquer de front. Néanmoins les procédés utilisés reposent sur les retards de développement dans la région et nécessitent donc une forte implication occidentale sur tous les axes pour être contrée. L’inconnue majeure à court terme reste le rôle américain qui pourrait être drastiquement réduit après les élections de novembre selon le résultat des scrutins.
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