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Colombie, un pays fracturé par la violence, la crise sociale et le narcotrafic : le retour des milices armées

  • Xochitl Manchon
  • 7 juin 2024
  • 5 min de lecture

En 2023, pas moins de 181 représentants communautaires et défenseurs des droits fondamentaux ont été assassinés a révélé le Bureau du Médiateur en janvier 2024. Depuis six ans, la Colombie est en proie à un conflit armé opposant guérillas, paramilitaires, trafiquants de drogue et représentants de l’Etat, laissant planer une violence devenue quotidienne pour la population colombienne. 


Une femme brandit un drapeau colombien lors de manifestations pour la défense des droits humains en 2022.


Les fondements de la crise colombienne 

Depuis près d’un siècle, la Colombie est aux prises avec une crise multiforme qui plonge ses racines dans un passé violent et marqué par la pauvreté, les inégalités sociales et le narcotrafic. L’assassinat du leader Jorde Eliecer Gaitan en 1948 a donné lieu à une longue guerre civile connue sous le nom de “La Violencia” qui a fait entre 200 000 et 300 000 morts et a été le catalyseur de cette longue et douloureuse crise colombienne. S’ensuivit une période de dictature militaire jusqu’en 1957, suivie d’une tentative de conciliation politique connue sous le nom de “Front national”. C’est dans ce contexte qu’ont émergé les guérillas communistes de l’ELN (Armée nationale de libération) et des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), qui ont mené une lutte contre l’Etat pendant plusieurs décennies, alimentant un cycle de violence qui a coûté la vie à près de 220 000 personnes et entraîné le déplacement de près de 5,7 millions de civils. L’enlèvement d’Ingrid Betancourt par les FARC en 2002 a été le point culminant de décennies de brutalités et d’attaques armées des milices visant à terroriser les populations et à faire pression sur le gouvernement colombien. 

Alors qu’à la fin de la décennie 2000, la population colombienne perdait tout espoir en une réconciliation, la signature d’un accord de paix historique en 2016 entre le gouvernement colombien et les FARC a été un tournant majeur. Les FARC acceptaient de se désarmer contre un siège au sénat et une intégration officielle au processus politique. En revanche, l’ELN a refusé de rejoindre l’accord et a poursuivi les activités armées jusqu’en 2023, année au cours de laquelle les négociations avec le gouvernement ont repris, suscitant l’espoir d’une paix durable. Cependant, cet espoir a été fragilisé par la recrudescence des tensions et des enlèvements en 2024. En avril 2024, 34 militaires ont été séquestrés puis libérés dans le centre du pays. Une série d’attaques contre les civils et les forces de sécurité, ainsi que l’assassinat d’un leader indigène par les rebelles, ont conduit à la fin du cessez-le-feu le 17 mars dans le sud-ouest du pays. 

Daniel Pécaut, spécialiste de la crise politique colombienne souligne que  “L’ordre et a violence sont toujours allées de pair en Colombie” expliquant la fragilité de la construction d’une paix durable et d’une société juste. Si la volonté d’une paix existe, les conditions ne sont pas encore réunies pour sa réalisation. 


Reprise des négociations de paix : espoir fragile pour la stabilité sociale et la sécurité 

Après un an de suspension due à des affrontements entre la guérilla et d’autres groupes armés, l’ENL a repris les négociations de paix avec le gouvernement de Petro avec la médiation du président vénézuelien, Nicolas Maduro. Cette nouvelle tentative de dialogue, soutenue par le Vénézuela, le Mexique et le Cuba, intervient dans un contexte social et sécuritaire critique. En effet, depuis avril, le pays est en proie à une recrudescence de la violence entre les enlèvements nombreux, les appels à des “grèves armées”, paralysant des régions entières et des attaques contre les civils qui se font de plus en plus fréquents. A ce titre, l’enlèvement du père du footballeur de Liverpool Luiz Diaz et l’attaque meurtrière contre une communauté indigène dans le département de Cauca, illustrent la dégradation de la situation. 

Cette recrudescence de la violence met à mal le fragile cessez-le-feu et complique la possibilité de “trouver une solution pour mettre fin à la violence entre les acteurs qui affecte avant tout les civils non armés”, d’après un communiqué officiel du gouvernement médiateur de Maduro. Les négociations s’avèrent compromises d’autant plus que l’ELN compte environ 5800 combattants actifs qui répondent à un commandement central mais qui opèrent sur plusieurs fronts autonomes, rendant ainsi difficile un accord avec un leadership unique. De plus, les parties en lice s’accusent mutuellement de manque de volonté de paix. L’ELN critique le “double discours politique de paix du gouvernement et l’absence de “vision commune de la paix, autour du régime politique, de la situation environnementale et du modèle économique”. Tandis que le gouvernement de Pétro, favorable à une paix totale, ne cesse de supplier les milices d’arrêter leur politique de terrorisation des civils et réclame un retour des conditions permettant la mise en place durable d’un cessez-le-feu afin de reprendre les négociations. 


Perspectives incertaines pour la crise de l’ELN en Colombie 

L'élection de Gustavo Petro en 2022 a fait naître l’espoir d’une résolution pacifique du conflit avec l’ELN. C’est d’ailleurs sous son impulsion qu’en 2023, les négociations ont pu reprendre. Sa vision progressiste et son engagement pour une “paix totale” placent l’accent sur des réformes structurelles visant à s’attaquer aux inégalités socio-économiques et à la marginalisation rurale, considérées comme des racines profondes du conflit. Son ambitieuse réforme agraire, axe majeur de son programme de paix totale et revendication originelle des milices armées, n’a visiblement pas suffit. Il s’agit en effet d’une première étape cruciale mais son ampleur et rapidité d’exécution restent insuffisantes. L'iniquité structurelle profondément ancrée en Colombie reste irrésolue avec notamment 1% des exploitations accaparant 80% des terres cultivables.  A ce titre, des manifestations de mécontentement ont éclaté en avril, dénonçant des réformes jugées insatisfaisantes. “Dehors Petro” était le slogan de manifestants protestant contre le système de santé, la réforme des retraites et le spectre d’une révision constitutionnelle ainsi que l’insécurité persistante. Comme pour beaucoup de présidents latinoamericains, le succès de sa “paix totale” dépendra de sa capacité à concilier les aspirations de justice sociale et de transformation structurelle avec les exigences de sécurité et de stabilité requises. 

Ce qui est certain, c’est que le retour des tensions avec l’ELN représente un défi supplémentaire pour le gouvernement de Gustavo Petro qui doit naviguer entre des intérêts divergents et des réalités complexes. Peu importe les intentions des acteurs en jeu, la réalité demeure la même : les populations civiles continuent de souffrir de violences qui déchirent le pays depuis plus d’un demi-siècle. Le temps presse pour un pays dont la violence endémique entrave toute possibilité d’un apaisement nécessaire pour l’émergence d’un nouveau chapitre dans l’histoire économique et politique de la Colombie. Un chapitre qui pourrait être celui d’un pays stable et juste mais qui est constamment repoussé par l’insécurité et les conflits internes. Pour Pétro, comme pour la communauté internationale, la résolution de ces tensions n’est pas seulement une question de politique intérieure mais une condition nécessaire pour construire les bases d’une nation prospère et pacifiée. 

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