Erdogan, un troisième mandat pour une troisième montée en puissance turque ?
- Doha Yahyi
- 19 juin 2023
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juin 2023
Le 28 mai dernier, Recep Tayyip Erdogan remportait sa troisième élection présidentielle consécutive en obtenant 52,2 % des voix, contre 47,8 % pour son rival Kemal Kiliçdaroglu. Ce résultat était prévisible, étant donné qu'Erdogan était largement en tête au premier tour le 14 mai, avec 49,5 % des suffrages. Ainsi, il restera aux commandes de la Turquie pour cinq années supplémentaires. Pour consolider sa montée en puissance, la Turquie d'Erdogan déploie une stratégie géostratégique ambitieuse dans toutes les directions.

Recep Tayyip Erdogan
La Turquie étend son influence dans les Balkans et le Caucase
La Turquie contemporaine mobilise ses ressources vers ses voisins du Nord. Ainsi, les Balkans et le Caucase deviennent des territoires de projection de puissance pour le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan. Depuis le début des années 2010, la Turquie étend considérablement son influence dans les Balkans, comme le souligne Alexis Troude dans son ouvrage "Le déploiement de la puissance turque dans les Balkans" (2020). L'analyste met en avant la capacité de la Turquie à utiliser tous les instruments de sa puissance dans cette région : visites officielles de hauts représentants, financement de centres religieux, soutien aux réseaux d'affaires et même présence militaire (au Kosovo et en Bosnie). La Turquie joue également un rôle croissant dans le Caucase, qui constitue une interface entre les mondes turc, russe et perse. Pendant la guerre de 2020-2022 au Haut-Karabakh, elle a soutenu l'Azerbaïdjan avec des forces armées (conseillers, supplétifs, drones, etc.), ce qui a affaibli l'Arménie, contrainte de consentir à des concessions politiques et territoriales de plus en plus coûteuses.
L’ingérence turque au Proche et Moyen-Orient
La Turquie contemporaine s'active de plus en plus dans son voisinage immédiat au Sud. En Méditerranée orientale, les tensions internationales se rapprochent d'un point de rupture avec les Européens. En effet, ces derniers envisagent la mise en place du gazoduc stratégique East-Med, partant d'Israël et passant par Chypre et la Grèce, ce qui représente un approvisionnement de 10 milliards de mètres cubes de gaz. Craignant d'être contournée, la Turquie multiplie les provocations maritimes et conteste la souveraineté européenne sur ces zones en 2022. Sa géostratégie brutale se manifeste également par une augmentation de son influence et de son ingérence au Proche et au Moyen-Orient. Pendant la guerre civile syrienne, débutée en 2011, la Turquie a soutenu de nombreux groupes djihadistes tels que Ahrar al-Cham et le Front al-Nosra. Dans son livre "Mourir pour Kobané" (2015), l'écrivain engagé Patrice Franceschi dénonce l'ampleur de l'action turque en faveur de ces groupes djihadistes. Erdogan s'immisce dans le conflit syrien pour stabiliser sa frontière, établir une profondeur stratégique, affaiblir son ennemi kurde et imposer son ordre politique.
Des partenariats accrus avec le continent africain
Au-delà de son voisinage immédiat, la Turquie fait preuve d'un activisme renouvelé sur le continent africain. Elle se présente comme un partenaire alternatif pour ce continent en pleine expansion économique. L'ampleur des ambitions turques dans cette sous-région est mise en évidence par son implication au Sénégal, qui sert de porte d'entrée pour l'Afrique de l'Ouest. Les investissements turcs tous azimuts ont dépassé les 775 millions d'euros en 2020, un montant en constante croissance. De grandes entreprises turques participent à des projets d'infrastructures majeurs, tels que la construction de la nouvelle ville de Diamniadio près de Dakar, ainsi que d'une ligne ferroviaire reliant l'Aéroport International Blaise Diagne (AIBD), lui-même achevé par le consortium turc Summa et Limak. Selon Dorothée Schmid, chercheuse à l'IFRI, la Turquie cherche également à jouer un rôle de médiateur dans des contextes complexes en Afrique, comme en Somalie, tout en apportant une aide humanitaire aux pays musulmans (d'après "La Turquie en 100 questions", 2023).
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