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Influences étrangères en Asie centrale : quelle place pour la Chine ?

  • Augustin Bodoy
  • 16 oct. 2024
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 mars

Territoire historiquement sous influence russe, l’Asie centrale est un territoire hautement stratégique au cœur du continent asiatique. La guerre en Ukraine et le comportement de Moscou depuis 2021 peuvent cependant rebattre les cartes du grand jeu opposant les puissances étrangères dans la région. La Chine, qui y est déjà très présente économiquement, peut espérer en tirer son épingle.


En mars 2023, les dirigeants des pays d'Asie centrale et de la République populaire de Chine se sont réunis pour un sommet inédit à Xi'an. 


L’Asie centrale, cette région oubliée mais cruciale, du continent asiatique

L’Asie centrale est une sous-région du continent asiatique, regroupant cinq anciennes républiques soviétiques : le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan. Y sont également communément intégrées les régions de l’ouest et du nord de la Chine, en particulier le Xinjiang et le Tibet, ce qui fait de la Chine elle-même un pays d’Asie centrale. Culturellement, la région du Xinjiang partage donc certaines caractéristiques avec les autres pays d’Asie centrale, notamment parce qu’elle abrite une population importante s’exprimant en langues turciques, comme c’est le cas au sein de la population ouïghoure. Cette proximité culturelle s’est également constituée grâce aux routes de la soie, déployées sous la dynastie Han, entre 206 avant JC et 220 après JC. Les Sogdiens, peuple de commerçants ayant œuvré au développement de ce réseau vers l’Occident, peuplaient alors un territoire à cheval sur le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Xinjiang, laissant à ces régions un héritage commun. Le parti communiste chinois se sert toujours de cette proximité culturelle dans ses relations avec les pays d’Asie centrale. En mai 2023 s’était tenu à Xi’an, lieu de départ historique des routes de la soie, un sommet inédit réunissant Xi Jinping et les dirigeants des cinq pays de la région, afin de renouer avec les anciennes républiques soviétiques.

Placée au carrefour des mondes russes, chinois et iraniens, les pays d’Asie centrale restent un angle mort de la politique étrangère de l’Occident. Pour cause, ceux-ci sont traditionnellement des alliés de la Russie. Colonisés par l’empire russe dès le XVIIIe siècle, puis intégrés à l’URSS en tant que républiques socialistes soviétiques, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kazakhstan, le Turkménistan et le Kirghizstan ont conservé des liens étroits avec le pays des tsars par le biais de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Ce groupe, rassemblant neuf des quinze anciennes républiques soviétiques, a été fondé par la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie au lendemain de la chute de l’URSS en 1991, afin de conserver de bonnes relations diplomatiques entre les nouveaux Etats. En France comme dans le reste de l’Occident, les pays d’Asie centrale restent donc assez méconnus du grand public.

Pourtant, par son positionnement géographique hautement stratégique, son économie en pleine expansion et sa richesse culturelle, cette région offre divers aspects passionnants pour toute personne se penchant sur la géopolitique et la géographie. Sur le plan économique, le PIB de la région a été multiplié par 7,5 entre 2000 et 2021, pour atteindre aujourd’hui 347 milliards de dollars. En parallèle, la population a été multipliée par 1,4, et représente désormais 77 millions de personnes. Cette croissance rapide s’explique notamment par l’importance des investissements chinois dans la zone, en particulier dans les infrastructures de transports, qui ont permis de faire de cette région enclavée un pivot du commerce au sein du continent asiatique. La richesse des sols en hydrocarbures, et le début de leur exploitation massive au début des années 2000 ont également largement contribué à l’enrichissement des différents pays. La région dispose de plus d’un grand potentiel d’exploitation pour la production d’énergies renouvelables, et d’énergie hydro-électrique tout particulièrement.

Les pays d’Asie centrale offrent enfin une grande richesse culturelle, notamment du fait de l’influence qu’y exerce l’islam sunnite, et par la diversité des groupes ethniques qui y vivent. Ces pays deviennent progressivement de plus en plus mainstream sur le plan touristique, grâce à une popularisation sur les réseaux sociaux des paysages époustouflants que l’on peut y trouver, ainsi que par la curiosité qu’attise les modes de vie nomades qu’adopte toujours une partie de la population, et certaines traditions, comme le kok-borou, sorte de polo au cours duquel les participants s’arrachent la dépouille d’un animal décapité.


Une région stratégique pour la puissance chinoise

Le sinologue et historien français Emmanuel Lincot explique, dans son ouvrage Le Très Grand Jeu, Pékin face à l’Asie centrale, que cette région du monde est pour la Chine un « réservoir de puissance ». La position géographique des pays d’Asie centrale, entre Chine, Russie et Proche-Orient, en a fait historiquement un carrefour des échanges internationaux entre Occident et Asie Pacifique. Si la mondialisation moderne a largement privilégié le transport maritime, les anciennes routes de la soie ont été remises au goût du jour grâce à la Belt and Road Initiative lancée en 2013 par le parti communiste chinois. Ce plan massif d’investissement dans des infrastructures de transport compte en 2024 plus de 140 pays participants, et pourrait permettre d’accroître les flux d’échanges de 4,1% au sein de ces pays et de réduire les coûts du commerce international de 1,1% selon une étude de la Banque mondiale. Ces investissements ont été particulièrement importants en Asie centrale. Deux corridors de transport y ont été construits : l’Eurasian Land Bridge, reliant l’ouest chinois aux routes du Transsibérien en traversant le Kazakhstan, et le corridor méridional Chine-Asie centrale-Asie de l’Ouest à travers l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Iran et la Turquie. Deux autres projets sont également envisagés par Pékin : une voie ferrée de Kashgar traversant le Kirghizstan jusqu’à Osh, ainsi qu’un projet de liaison à travers le Tadjikistan, l’Afghanistan puis l’Iran et la Turquie. L’intérêt pour la Chine est d’abord économique. Il s’agit pour elle d’accroître ses exportations, d’écouler sa production et de trouver de nouveaux marchés. Celui de l’Asie centrale est en effet en pleine expansion. En 2023, la croissance du PIB au Tadjikistan s’élevait à 7,5%, celle de l’Ouzbékistan à 6,5% et celle du Kazakhstan à 5%. En entretenant de bonnes relations avec ces Etats par le biais de son projet, la Chine entend également profiter des ressources abondantes présentes dans les sous-sols de ces pays. Le Kazakhstan seul dispose de l’intégralité des éléments de Mendeleïev à l’état naturel sur son territoire. Les hydrocarbures kazakhs et turkmènes ont également été une source de motivation pour la Chine.

Enfin, l’Asie centrale présente un intérêt sécuritaire et militaire important pour la Chine. L’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), créée en 2001 par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, permet à la Chine de poursuivre dans ces pays des personnes recherchées et que Pékin considère comme terroristes, en particulier les personnes considérées comme appartenant à la résistance ouïghoure. La Chine s’est également assurée une présence militaire dans le Haut-Badakhchan, dans l’est tadjik. Selon Emmanuel Lincot, la multiplication des initiatives chinoises visant à reconnaître le régime taliban en Afghanistan a également pour objectif de permettre à Pékin d’éradiquer la présence de maquisards ouïghours présents en Afghanistan, d’éradiquer les narcotrafics dans la région et d’y sanctuariser ses intérêts, comme les mines ou infrastructures.


La guerre en Ukraine, une opportunité pour la Chine d’asseoir sa domination en Asie centrale

Dans une région historiquement dominée par la Russie, la Chine n’a jamais véritablement porté d’ambitions expansionnistes, mais a surtout cherché à protéger ses intérêts économiques et à garantir la sécurité de son propre territoire face aux menaces provenant de territoires frontaliers. Le déclenchement de la guerre en Ukraine et son prolongement dans la durée rebattent cependant les cartes. En effet, les pays d’Asie centrale se sont en partie dissociés des actes de la Russie dans le cadre du conflit, ne soutenant pas ouvertement l’agression russe en Ukraine. Cette-dernière a en effet mis en lumière les risques sur leur souveraineté et leur indépendance. Les chaînes de télévision russes ont adopté un discours impérialiste depuis le début de la guerre, remettant parfois ouvertement en cause l’indépendance des pays de la région, en raison de leur supposée « ingratitude » envers la Russie et leur appartenance à l’ancienne URSS. En Ouzbékistan, un débat a été ouvert par le Parlement, pour que la diffusion de ces chaînes de télévision russes, qui est monnaie courante dans le pays, soit limitée, au profit de productions kazakhes, kirghizes, turques, turkmènes ou tadjikes. Celui-ci n’a néanmoins pas été tranché, le gouvernement ouzbek désirant rester précautionneux dans ses relations avec Moscou. Au Kazakhstan, la première chaîne de télévision russe, Pervyï Kanal, a été interdite sur le territoire national, et ce malgré les 7 600 km de frontières communes avec la Russie et l’importante minorité russe présente sur son territoire, qui constituent un enjeu sécuritaire majeur pour le pays depuis l’agression russe en Ukraine.

L’image ternie de la Russie en Asie centrale offre l’opportunité à d’autres puissances étrangères d’y renforcer leur influence, à commencer par la Chine. Sur le plan économique tout d’abord, la guerre en Ukraine a facilité la poursuite de la pénétration chinoise sur le marché centrasiatique, en y éliminant l’un de ses premiers concurrents, la Russie, occupée à concentrer ses forces économiques dans le conflit. Depuis 2022, la Chine a ainsi annoncé la reprise du chantier de la ligne ferroviaire Chine – Kirghizstan – Ouzbékistan, arrêté lors de la crise du Covid, et des sociétés chinoises ont remporté des contrats pour l’implantation de barrages hydro-électriques et solaires au Kirghizstan et pour l’inauguration de mines d’or au Tadjikistan. La Chine en a également profité pour renforcer ses partenariats militaires avec le Turkménistan et le Kazakhstan, visant à renforcer la coopération des armées nationales. Ces partenariats sont la preuve que Pékin désire s’émanciper de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) pour faire concurrence à la Russie dans le domaine militaire. La Chine n’est cependant pas la seule puissance étrangère à renforcer ses rapports bilatéraux avec les pays d’Asie centrale. La Turquie reste très présente dans une région où les langues turciques sont importantes. Elle est notamment le premier fournisseur d’armes au Turkménistan. L’Iran renforce également sa présence en Asie centrale depuis plusieurs années, en particulier sur le plan économique, profitant de sa proximité géographique avec les pays de la région, au contraire de la Turquie, et en développant, à l’instar de la Chine, des corridors de transports et des projets d’accords gaziers.



Déjà très présente économiquement dans la région depuis le début des années 2000, la Chine peut profiter de la guerre en Ukraine pour renforcer son influence en Asie centrale, tout particulièrement sur le plan militaire. Face à la position impérialiste de la Russie depuis le début du conflit, l’alliance historique entre les pays d’Asie centrale et Moscou n’a jamais paru aussi fragile…

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