L'Asie centrale face au déclin du pouvoir russe
- Skander Hamza
- 16 janv. 2023
- 4 min de lecture
Les États d'Asie centrale historiquement proche de la Russie se lient avec la Chine au niveau militaire dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS) qui sème à Pékin, et dont la dernière réunion s'est tenue le 15 septembre en Ouzbékistan.

L’Asie centrale
L’Asie centrale, ici comprise comme le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan, est une vaste région relativement peu peuplée couverte de steppes au Nord, de déserts au Sud et de montagnes à l’Est, avec de grands et fertiles bassins fluviaux qui se jettent dans ce qui reste de la mer d’Aral. Cette région entre dans le giron russe dès le début du XVIIIe siècle pour sa partie septentrionale et la conquête se poursuit le long du XIXe siècle.
Jusqu’aux indépendances qui suivent l’effondrement de l’URSS en 1991, la région est économiquement, politiquement, culturellement et militairement dominée par Saint-Pétersbourg puis Moscou. L’URSS renforce la russification sur tous les points ; les peuples nomades sont sédentarisés selon les plans du Parti, l’économie extractive est largement développée et les terres fertiles sont mises en culture par des fermes collectives. Les économies sont ainsi très peu diversifiées, avec une forte dépendance aux sous-sols riches en minerais et en énergies fossiles.
Après la chute de l’URSS, les 5 nations sont dans une situation particulièrement complexe du fait de la précédente centralisation du régime communiste. Une élite économique accapare alors le pouvoir dans des pays souffrant d’un sous-investissement fort en infrastructure, éducation, ainsi que d’un analphabétisme élevé et de populations souvent toujours nomades. Des autocrates se mettent rapidement en place ; Noursoultan Nazarbaïev au Kazakhstan, officiellement jusqu’en 2019, Islam Karimov en Ouzbékistan jusqu’à sa mort en 2016, Askar Akaïev au Kirghizstan, renversé en 2005, Emomali Rahmon au Tadjikistan depuis 1992 et Saparmurat Niyazov au Turkménistan jusqu’à sa mort en 2006. Les ressources des pays sont contrôlées par des oligarques proches du pouvoir et le clientélisme et la corruption règnent.
L’influence russe reste très importante : en plus d’être la langue officielle, de nombreuses organisations économiques et politiques comme la Communauté des Etats indépendants (CEI) depuis 1991, l’Eurasec (2000-2015) ou l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui depuis 2002 lie les anciennes Républiques soviétiques à Moscou dans les domaines de la politique étrangère et des affaires militaires.
L’influence chinoise rivalise avec la russe
Cependant une autre grande puissance développe depuis quelques décennies son influence dans la région ; la Chine. La stratégie d’influence de Pékin se déploie également du point de vue économique ; la Chine détient plus de la moitié de la dette extérieure kirghize et investit en masse dans les infrastructures. Ces investissements passent par les grands projets des Nouvelles Routes de la Soie, qui se concentrent sur le Kazakhstan, ainsi que par les projets de distribution des ressources gazières et pétrolières vers la Chine. Ce rapprochement avec la Chine permet donc de contre balancer la position des Etats d’Asie centrale vis-à-vis de la Russie, ainsi qu’une stratégie plus multilatérale avec des rapprochements commerciaux avec l’Union européenne.
2022 : difficultés russes, conflits et révoltes
L’affaiblissement russe s’est particulièrement manifesté en 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine. La position des nations d’Asie centrale à l’ONU se distingue clairement d’autres régimes plus inféodés à Moscou, dans le sens où celles-ci n’ont pas explicitement apporté leur soutien à la Russie dans ce qui fut modestement nommé au sommet de septembre 2022 de l’OCS la « crise ukrainienne ». Ce sommet, tenu à Samarcande, fut l’occasion pour démontrer une alternative géopolitique à l’Occident et l’unité de l’alliance russo-chinoise, qui inclut les pays d’Asie centrale. Cependant l’unité est très fragile ; l’Ouzbékistan, en pleine vagues de réformes libérales et ouverture du pays aux investisseurs occidentaux, a réaffirmé sa neutralité sur la question ukrainienne. Le ministre des Affaires étrangères a même affirmé « La république d'Ouzbékistan reconnaît l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine » -- Tachkent a en effet refusé de voter à l’ONU sur cette question, comme tous ses voisins.
La mainmise russe est aujourd’hui dans un entre-deux. 2022 fut l’occasion de deux démonstrations aux effets contraires pour la région. Au début de l’année, les grandes vagues de manifestations au Kazakhstan suite à l’augmentation du prix du gaz ont mené à une répression sanglante par les troupes russes, qui ont le droit d’intervenir dans ce pays en vertu des accords de l’OTSC. Ces évènements ont d’ailleurs permis de renforcer le pouvoir du nouveau président vis-à-vis de Nazabaïev, qui fut contraint de démissionner suite à des soulèvements précédents. La russe a montré sa capacité d’intervenir dans la région pour maintenir ses alliés au pouvoir. Toutefois cette capacité ne s’étend pas au champ diplomatique ; en septembre 2022, la frontière Tadjiko-kirghize fut le terrain d’un conflit entre les deux nations, dont les frontières héritées de l’URSS n’ont pas encore été approuvées par les deux Etats. La médiation traditionnellement assurée par Moscou fut sans grands résultats.
Tout comme l’influence russe, la position des autocrates de la région est très variable d’un pays à l’autre. Si l’ouverture économique est commune aux 5 nations, celle politique est assez spécifique à l’Ouzbékistan, qui s’est engagé dans une sorte de perestroïka et au Kirghizstan, modèle unique de démocratie dans la région depuis la révolution des Tulipes en 2005, tandis que le Turkménistan et le Tadjikistan restent très verrouillés politiquement avec des dictatures solidement installées au pouvoir.
L’Asie centrale est donc à une confluence, entre ouverture au monde et donc distanciation vis-à-vis de la Russie et entre démocratisation économique et répression politique.
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