L'âge de l'IA, le début d'une nouvelle ère ?
- Tessa Limbach
- 22 mai 2023
- 4 min de lecture
En septembre 2017, Vladimir Poutine déclarait à propos de l’intelligence artificielle (IA) : « Celui qui deviendra le leader en ce domaine sera le maître du monde. ». En effet, l’âge de l’IA vient de débuter. Avec le lancement et le succès de ChatGPT, il est devenu évident que l’IA est en train de faire évoluer le monde dans tous ses aspects, économiques, géopolitiques, sociaux et même militaires. Certains évoquent même un « retour des empires ».

L’apparition de ChatGPT et la question de l’impact de l’IA sur le travail
Le 30 novembre 2022, le monde a été bouleversé par le lancement par OpenAI (une société cocréée par Elon Musk en 2015) d’un nouveau prototype d’agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle et capable de générer des réponses à tous types de questions, d’écrire des articles et de tenir des conversations : ChatGPT. Le chatbot a connu un succès mondial puisqu’on comptait, en janvier 2023, plus de 100 millions de comptes enregistrés. Cela a poussé au développement d’autres IA et chatbots de la sorte, puisque GPT-5 est en développement et que des applications comme Snapchat ont, elles aussi, créé leur propre chatbot.
De tels outils posent de nombreuses questions, notamment dans le monde du travail. Tout d’abord, l’IA constitue une réelle avancée et aide dans certains domaines comme la médecine. En effet, l’IA a permis de créer la chirurgie assistée par ordinateur, les prothèses intelligentes, ou même des plateformes comme le projet européen Desiree, qui aide les cliniciens dans le traitement et le suivi des patientes atteintes de cancers du sein. En revanche, certains métiers se voient menacés par des logiciels tels que ChatGPT : les écrivains, traducteurs, ingénieurs ou artistes s’inquiètent pour l’avenir de leur profession. Pourtant, la recherche montre qu’il ne faut pas opposer humain et machine et que les meilleurs résultats pourraient être obtenus d’une coopération entre les deux, comme l’affirme Dario Colazzo, chercheur du LAMSADE, à la condition de se former.
L’IA ou la cristallisation des tensions géopolitiques, en particulier entre la Chine et les Etats-Unis
Le domaine de l’IA revêt, sans aucun doute, un enjeu économique, politique, scientifique et géopolitique décisif. Deux puissances sont en tête de la course, la Chine et les Etats-Unis, et distancent largement les autres pays. Cette compétition a débuté en 2016, lorsque le programme informatique d’une filière d’Alphabet (société mère de Google) battait le champion du monde Lee Sedol au jeu chinois Go. Par la suite, Pékin a annoncé clairement son objectif de devenir le leader mondial en matière d’IA d’ici 2030. L’IA constitue un réel levier stratégique, car elle constitue une technologie générale permettant de transformer l’ensemble des activités humaines, et ainsi d’influencer ces dernières. L’IA représente un enjeu de souveraineté politique et géopolitique à travers une guerre des normes effrénée entre ces deux pays.
C’est sur le terrain des semi-conducteurs, technologie fondamentale pour le développement de l’IA, que les deux géants s’affrontent. Les Etats-Unis visent ainsi à dominer et à distancer la Chine, en lançant notamment le Chips and Science Act, un plan de subvention de 52,7 milliards de dollars, interdisant pendant dix ans aux entreprises bénéficiaires d’investir pour la fabrication de semi-conducteurs en Chine. Par ailleurs, des sanctions sont imposées aux concepteurs de puces informatiques qui auraient décidé de vendre leurs composants en Chine.
Nicolas Miailhe, président de The Future Society, parle d’un retour des empires avec ce qu’on pourrait appeler des « empires numériques », résultant d’associations entre des multinationales soutenues ou contrôlées par des États qui ont financé le développement de leurs bases techno-scientifiques. L’IA provoque une centralisation du pouvoir dans les mains d’une poignée d’acteurs seulement, d’où la notion d’empires avec des économies d’échelle et un contrôle des affaires internationales grâce à cet outil. Ceci pourrait mener à une nouvelle « logique de blocs » d’un point de vue géopolitique.
Une Europe en retard ?
L’Europe est caractérisée, quant à elle, par un retard en matière d’IA. Elle peine à se faire une place dans la course pour le leadership entre les Etats-Unis et la Chine. Elle rencontre des difficultés à faire émerger des leaders technologiques internationaux, notamment en raison d’un sous-investissement en IA, avec un montant total de capital risque investi en cinq ans équivalent à celui d’une année seulement en Chine, soit 100 milliards de dollars, mais également en raison d’un manque de formation initiale, entrainant une mobilité des chercheurs vers les Etats-Unis.
Ce retard conséquent a entrainé la création en 2018 d’un nouvel instrument, le « Conseil européen de l’innovation » afin de soutenir les besoins de financement de l’innovation de rupture. Cependant, si l’Europe tient à reconstruire sa souveraineté numérique, elle devra fournir des efforts et investissements, au risque sinon de se contenter d’alliances stratégiques, avec ce que certains appellent une « cyber-vassalisation ».
Une extension de l’IA aux domaines de l’armement et de la guerre
L’IA constitue également un bouleversement militaire, avec son apparition sur le champ de bataille. A court terme, l’IA permet de récolter et d’analyser une quantité très importante de données. Un exemple parlant de l’utilisation de l’IA par l’armée et celle de la guerre en Ukraine, avec l’exploitation par les Russes et les Ukrainiens de l’IA en support des soldats et de l’effort de guerre. L’IA permet l’analyse d’images satellitaires, la reconnaissance faciale, et les systèmes de recommandation. Un débat majeur se situe autour du développement des robots tueurs. A long terme, l’avènement de l’IA pourrait même bouleverser la relation entre politique et militaire d’un point de vue stratégique, avec une IA qui pourrait proposer des options optimisées aux décideurs afin de répondre le mieux possible aux objectifs politiques. Tout cela soulève bien évidemment des questions de libre arbitre et surtout d’éthique.
Cette future omniprésence de l’IA présage d’immenses progrès mais également de nombreux bouleversements dans tous les domaines, politiques, économiques, sociaux, scientifiques, militaires et géopolitiques, ainsi que des dangers inhérents.
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