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La Turquie, gagnante de la crise syrienne ? Le jeu trouble du géant régional avant et après la chute de Bachar el-Assad

  • Matthieu Maalouf
  • 16 déc. 2024
  • 4 min de lecture

Dimanche 8 décembre 2024, les groupes rebelles islamistes syriens, notamment le HTC, ont tourné une page de l’histoire syrienne en mettant fin à la dictature baasiste de Bachar al-Assad. La période d’incertitude et d’instabilité politique initiée dans le pays n’est pas sans lien avec la politique étrangère menée par le « néosultan » à la tête du géant régional, Recep Tayyip Erdoğan. En effet, les printemps arabes et les répressions violentes orchestrées par Bachar al-Assad depuis 2011 en Syrie avaient troublé le dialogue syro-turc et engendré une rupture diplomatique, faisant d’une Turquie inquiète des conflits interethniques à sa frontière un opposant direct au régime Assad. Après des années de soutien apporté à la rébellion anti-Assad, la Turquie de Erdoğan peut-elle se dire à l’abri des retombées de l’imbroglio syrien ? A une heure où le gouvernement syrien en transition est encore très incertain, dans quelle mesure la Turquie alimente ou apaise-t-elle le désordre régional ?


Bannière à l'effigie du président Turc Recep Tayyip Erdogan brandie par des membres de la communauté syrienne et des sympathisants pour célébrer la chute du président syrien.
Bannière à l'effigie du président Turc Recep Tayyip Erdogan brandie par des membres de la communauté syrienne et des sympathisants pour célébrer la chute du président syrien.


Le rôle clé de la Turquie dans la lutte décennale contre le régime Assad. 


Il est clair que la Turquie a joué un rôle clé dans la lutte décennale contre le régime Assad. D’abord sur le plan purement militaire, la Turquie a mené plusieurs opérations militaires en Syrie ; on en compte trois principales : l’opération Bouclier de l’Euphrate fin août 2016, l’opération Rameau d’olivier fin 2018 puis l’opération Source de paix en octobre 2019. Ces trois opérations avaient pour objectif de sécuriser la frontière turque en éliminant non seulement la menace posée par l’Etat Islamique mais aussi par les Forces démocratiques syriennes (FDS) – coalition militaire syrienne formée en 2015 et dirigée directement contre l’Etat islamique et les ingérences turques en Syrie – en particulier le groupe YPG – sous-groupe des FDS et branche armée du Parti de l’Union démocratique (PYD) kurde en Syrie – que la Turquie d’Erdoğan considère comme une groupe affilié au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) turc. Outre ces opérations militaires directes, la Turquie a apporté un soutien permanent à des groupes armés rebelles en Syrie : directement à l’ANS (Armée Nationale Syrienne) – coalition de factions rebelles y compris islamistes formée en 2017 – et moins officiellement au HTS (Hayat Tahrir al-Sham : « Organisation de Libération du Levant »). Ce sont les actions coordonnées entre ces deux groupes qui ont abouti à la chute de Bachar el-Assad ce dimanche 8 décembre. 


Les conséquences directes pour la Turquie : 

En période de xénophobie antisyrienne de plus en plus résonnante dans la société turque, la chute de Bachar al-Assad est l’occasion pour Ankara de rapatrier le plus grand nombre de réfugiés syriens parmi les quelques 3 millions présents sur le territoire. L’envie de rentrer au pays s’intensifie aussi du côté des réfugiés depuis la prise d’Alep par les insurgés islamistes et des milliers de rapatriements ont déjà été annoncés par le gouvernement turc.En outre, l’affaiblissement des forces kurdes syriennes à sa frontière permet à la Turquie d’Erdoğan d’accélérer la poursuite d’un objectif maintenant ouvertement revendiqué : l’élimination de toute résistance kurde sur son territoire. Les prochaines mesures prises par Ankara autour de la question kurde pourraient être source de désaccords dans le camp occidental, à l’heure où la Turquie classe comme organisation terroriste le YPG kurde, sous-branche des FDS qui sont un allié de l’occident dans la lutte contre l’EI (Etat Islamique) en Syrie.Enfin, la nouvelle donne syrienne est synonyme d’enjeux sécuritaires pour la Turquie qui ne partage pas moins de 800km de frontière avec une Syrie dont ne sait ce qu’il adviendra du gouvernement.



La chute de Bachar al-Assad place la Turquie au cœur d’une nouvelle donne géopolitique et internationale.


 La crise syrienne a redéfini les relations internationales de la Turquie. Si la capacité d'Assad à se maintenir au pouvoir - en grande partie grâce à la Russie, à l'Iran et au Hezbollah - a rapproché Moscou et Téhéran, la chute d'Assad risque de dresser la Turquie contre ces deux derniers. Les interdépendances demeurent complexes : Moscou devra gérer habilement ses relations avec Ankara, car elle a besoin du soutien du soutien turc pour préserver ses intérêts en Syrie, notamment ses bases navales et aériennes vitales dans le pays.Sous le régime d'Assad, la Russie s'était effectivement positionnée comme gardienne de toute normalisation possible entre la Turquie et le régime d'Assad, et jouait un rôle similaire entre le régime et les FDS. Ce rôle de gardien a donné à la Russie une certaine influence sur la Turquie. Néanmoins, l’équation s’est nettement modifiée ces derniers mois, d’abord parce que la Turquie a été le pays le plus impliqué dans les récents évènements en Syrie - Ankara a même veillé à ce que la Russie et l’Iran n’interviennent pas militairement sur le sol syrien pendant l’offensive des rebelles – et parce que le géant turc possède maintenant, de par ses contacts diplomatiques, un pouvoir significatif – bien que non absolu – sur l’avenir du gouvernement syrien et des prochains alliés de la Syrie : c’est peut-être là que l’on peut parler d’une victoire turque. 



Le croissant fertile est ainsi en proie à de nombreux bouleversements géopolitiques, présentant pour les pays de la région un tissu d’opportunités et de contraintes que la Turquie semble considérer au moment opportun car dans quelques mois, l’arrivée de Trump à la Maison Blanche pourrait être synonyme d’un retour des sanctions américaines sur Ankara.



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