top of page

Les contours de la politique d'influence russe en Afrique : vers un nouveau chapitre post-Wagner ?

  • Emma Dupoux
  • 12 mars 2024
  • 7 min de lecture

Vladimir Poutine aime à dire que « les frontières de la Russie s’étendent partout », et effectivement cette dernière est actuellement en train de diffuser son influence jusqu’au continent africain et plus particulièrement jusque dans un Sahel en train de se débarrasser d'une influence occidentale pour se tourner vers Moscou.



Un soldat de l'armée centrafricaine porte un écusson du groupe Wagner.


Une influence russe en Afrique : pourquoi et comment ?

Cette influence fait déjà ses preuves ; lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies de février 2023, 7 pays dont le Mali et l’Érythrée ont voté contre la résolution en faveur d’une paix « juste et durable » en Ukraine ainsi qu’un retrait des troupes russes, et 32 pays se sont abstenus. Parmi ces derniers on retrouvait 15 pays africains dont l’Afrique du Sud ou l’Éthiopie. C’est ainsi que la Russie serait en train de s’imposer comme alliée et leader du monde africain, mais un leader aux intentions contestables ; une étude récemment publiée par le Centre d'études stratégiques de l'Afrique, met en avant le fait que la Russie tente de saper les gouvernements à fonctionnement démocratiques déjà en place dans plus d’une vingtaine de pays africains, à travers entre autres l'ingérence politique, les revendications extraconstitutionnelles de pouvoir ou encore la désinformation.

Premièrement, l'un des principaux objectifs de la Russie est d'obtenir une légitimation diplomatique de sa guerre en Ukraine, et plus globalement de ses revendications territoriales qui vont à l’encontre du droit international. En effet, elle est confrontée à un isolement tant économique que politique de la part de l’Occident et doit donc se tourner vers d’autres partenaires. D’autre part, en éloignant ainsi petit à petit les économies et politiques africaines de celles de l’Occident, la Russie souhaite proposer un marché alternatif à ceux d’Europe et des USA dont elle est actuellement marginalisée.

Or, plusieurs gouvernements africains ne disposent pas de mécanismes de contrôle internes de l’information et forment ainsi un environnement propice à l’extension de l’influence, de la communication et de la propagande Russe. Réciproquement, la Russie est une alliée de taille pour ces pays africains, parfois eux-mêmes en marge de la communauté internationale, puisqu’elle bénéficie d’une place permanente au Conseil de Sécurité de l’ONU et se range souvent du côté d’autres pays autocratiques – on pense notamment à son soutien tangible au régime d’Omar el-Béchir au Soudan jusqu’en 2019.

 

La société militaire privée Wagner, pionnière de la stratégie d’influence russe en Afrique

Lorsque l’on parle d’ingérence Russe en Afrique, on ne peut contourner le sujet de Wagner ; société militaire privée dirigée jusqu’en 2023 par Evgueni Prigojine, décédé en août dernier dans un accident d’avion. Wagner agit sur le continent africain notamment au Mali, en Libye ou en république Centrafricaine, pour les intérêts russes, mais officiellement indépendamment du Kremlin. En échange de leurs services tels que des livraisons d’armes, un soutien politique, des promesses de développements universitaires ou des livraisons alimentaires, les troupes de Wagner ont accès à des matières premières telles que l'or, et surtout, le soutien diplomatique non négligeable des pays en question. Ce groupe joue un rôle majeur dans la diffusion de l’influence politique du Kremlin en répandant un discours anti-occidental axé sur le rejet de l’influence coloniale, ainsi que de la désinformation de masse. En exploitant les faux pas diplomatiques des Occidentaux, et entres autres des Français pour ce qui est de la zone sahélienne, ainsi que le désaveu croissant de leur politique étrangère et de leurs interventions militaires auprès de la population, Wagner a ouvert la voie à des victoires géopolitiques à moindre coût pour le pouvoir russe.

Une preuve de l’efficacité de ses actions de soft power ? L’omniprésence des drapeaux russes dans les commerces de Niamey par exemple. L’absence de drapeaux français en devient flagrante… Son mode d’action privilégié reste les réseaux sociaux. Cette stratégie est particulièrement efficace dans les pays qui n'ont pas une longue tradition de presse indépendante et libre. Des vidéos et photomontages caricaturant des forces néocoloniales qui viseraient à s’emparer du pays en question mais qui en seraient empêchés par de braves soldats russes circulent activement, le but étant d’ancrer dans l’imaginaire collectif national que les Occidentaux ne souhaitent qu’exploiter l’Afrique à leurs propres fins, tandis que la Russie se positionnerait à ses côtés en tant que martyre des Occidentaux elle aussi. En effet, la Russie de Vladimir Poutine a un avantage certain ; elle ne faisait pas partie – à l’époque de l’URSS – des puissances colonisatrices de l’époque et a par ailleurs souvent appuyé les mouvements indépendantistes africains du XXe siècle.

D’autre part, des influenceurs africains seraient directement payés par la Russie pour diffuser ce genre de contenu selon le Centre de Recherches Stratégiques Africain ; par exemple, Kemi Seba, un influenceur franco-béninois comptant plus d'un million d’abonnés sur Facebook, publie fréquemment des contenus anti-occidentaux et pro-russes dans un but de légitimation des politiques menées par le Kremlin. Juste après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, on retrouvait notamment sur son compte une vidéo dans laquelle il affirmait que Moscou "essayait de reconquérir les terres russes".

Wagner en est venu à remplacer des missions militaires occidentales ou même onusiennes dans certains pays d’Afrique ; après le retrait des troupes françaises du Mali en 2017, suivi par celles de l’ONU agissant dans le cadre de la mission de maintien de paix MINUSMA, le Mali a accueilli Wagner sur son sol dès 2018, menant à une collaboration plus étroite avec la Russie. Au passage, selon l’Institut International de recherche sur la paix de Stockholm, 44 % des armes vendues aux pays africains entre 2017 et 2021 étaient d'origine russe.

Il est important de souligner qu’au-delà des actions de Wagner, menées indépendamment du gouvernement russe selon les dires de ce dernier, les canaux officiels tels que les ambassades relaient également cette désinformation.

Typiquement, en juillet 2023 l’ambassade Russe en Afrique du Sud avait publié pendant quelques minutes sur Twitter une supposée capture d’écran d’un article du média Politico intitulé « 20 millions de vies au nom de la liberté » en ajoutant le commentaire « [...] L’OTAN pousse à une guerre qui sera menée jusqu’au dernier Ukrainien », accusant ainsi l’organisme d’être le principal responsable de la guerre et de ses victimes. La grammaire et l’orthographe douteuses de celle-ci en confirmaient le caractère frauduleux. Dans la même optique, le média public russe RT s’est lui aussi étendu sur le continent africain en concluant divers accords, notamment avec Afrique média ou le journal Ndjoni Sango en République Centrafricaine, qui optent ainsi pour une ligne éditoriale en soutien à l’ingérence russe.

 

A bat Wagner, place à l'Africa Corps

Cette nouvelle agence officielle russe, dont le nom n’est d’ailleurs pas anodin et rappelle les bataillons d’Allemagne nazie de la Seconde Guerre mondiale ayant combattu dans le nord de l’Afrique, semble être l’héritière du groupe de défense paramilitaire Wagner.

Elle est placée directement sous les ordres du ministère russe de la Défense et représente désormais le nouveau label de la présence militaire russe en Afrique. À Loumbila, située à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Ouagadougou au Burkina Faso, s'est érigée la première base militaire ce cette nouvelle organisation. Les images par satellite témoignent de l'ampleur croissante que prend ce campement depuis décembre 2023. Cette implantation résulte d'une coopération militaire tissée entre les deux nations depuis plusieurs mois. Le chef de la junte burkinabée, Ibrahim Traoré, n'a pas dissimulé cette nouvelle alliance, en accueillant à plusieurs reprises des délégations russes. Selon l’Africa Corps, leurs forces y sont présentes pour assurer la sécurité du chef de la junte Ibrahim Traoré, mais à Ouagadougou, où la langue de bois sembler régner, on parle plutôt « d’instructeurs russes », venus former l’armée burkinabé à l’emploi des armes livrées par le Kremlin.

Néanmoins, comme le rappelle le Général Dominique Trinquand, "Les interventions des services russes, que ce soit au Niger, au Mali comme au Burkina Faso, c'est avant tout pour protéger les régimes, beaucoup moins pour lutter contre les djihadistes", alors que la Russie multiplie les interventions militaires au Sahel, ancienne terre d’appui des Occidentaux, et plus particulièrement des Français, dans leur lutte contre le terrorisme.

Cette Africa Corps s’inscrit dans une dynamique plus large de remplacement de Wagner dans la région au travers de l’African Initiative, dont elle serait le bras armé. Selon l’ancien colonel et rédacteur en chef de la revue russe Natsionalnaïa oborona, Igor Korotchenko, la nouvelle organisation « devra mener des opérations militaires à grande échelle sur le continent [africain] pour soutenir les pays cherchant à se débarrasser enfin de la dépendance néocoloniale, à nettoyer la présence occidentale et à acquérir la pleine souveraineté. » En effet, sur le site de l’African initiative, on trouve la description suivante ; « une agence de presse russe sur les évènements du continent africain » qui oriente son propos vers « l’héritage néocolonial contre lequel les pays africains luttent depuis des décennies » mais aussi vers « les activités des militaires et hommes d’affaires, médecins et journalistes russes en Afrique ». On l’aura compris, l’African Initiative a pour but de reprendre et d’approfondir l’appareil de propagande mis en place par Wagner. Une de ses premières campagnes a d’ailleurs été menée, d’après la diplomatie américaine, en diffusant une théorie du complot selon laquelle l’Afrique serait le terrain d’entrainement des sociétés pharmaceutiques occidentales. On compte d’ailleurs parmi ses membres, des proches et des agents du FSB ou du SVR, ainsi que d’anciens fidèles de Wagner, tels que Viktor Lukovenko devenu blogueur pour le compte de l’African Initiative sur Telegram où il affiche ses visites et « bonnes actions » dans des pays souvent politiquement instables du continent africain.


Depuis la mort d’Evgueni Prigojine, le Kremlin semble adopter une ligne directrice bien plus affirmée et officielle pour sa stratégie d’influence en Afrique, qui est désormais placée sous le contrôle direct de l’État, tout en capitalisant sur l’empire bâti par Wagner depuis 2018 allant de la République centrafricaine à la Libye en passant par le Soudan et le Mali. Ainsi, selon le collectif All eyes on Wagner, la Russie entrerait désormais dans une deuxième phase de diffusion de son influence sur le continent Africain, en « répliquant les bonnes recettes de Prigojine, combinant projection des forces et techniques d’influence en ligne et hors ligne, tout en rompant avec le concept de déni plausible du groupe Wagner ».

Comentários


Ajouter un titre.png

Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir nos dernières publications

  • LinkedIn
  • instagram
  • facebook

©2023 by La UN'e.

bottom of page