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Les drones, le nouveau nerf de la guerre ?

  • Augustin Bodoy
  • 20 mars 2024
  • 6 min de lecture

La guerre en Ukraine a vu depuis quelques mois l’importance des drones prendre une ampleur inégalée sur le champ de bataille. Un rapport publié en mai 2023 par un think tank britannique spécialisé dans les questions de défense affirme que les Ukrainiens perdraient près de 10 000 drones par mois sur le front, soit plus de 300 par jour. Fin décembre dernier, le président Volodymyr Zelensky avait également annoncé la production « d’un million de drones » pour son armée en 2024. 




Un MQ-9 Reaper de l'US Army tire son missile Hellfire à guidage laser.


Des origines centenaires…

Les premiers exemples de développement et d’utilisation de drones répondent à des enjeux militaires. Ceux-ci remontent à la Première Guerre mondiale, et ont pour vocation de répondre à une problématique claire : comment utiliser le progrès technique pour effectuer des missions, de reconnaissance en particulier, sans engager la vie de soldats ? Le premier aéronef sans pilote a vu le jour en France, le 2 juillet 1917, sur la base militaire d’Avord. Créé par Max Boucher, l’engin ne survolera que quelques 500 mètres à 50 mètres au-dessus du sol avant de s’écraser, faute de carburant. Concomitamment, l’ingénieur britannique Archibald Low développe à partir de 1916 un avion cible pilotable à distance par télégraphie sans fil, l’Aerial Target, tandis qu’aux Etats-Unis, Elmer Ambrose Sperry, Lawrence Sperry et Peter Cooper Hewitt imaginent dès 1917 le Hewitt-Sperry Automatic Airplane, un appareil sans pilote capable de lancer des torpilles aériennes. 

C’est à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale et pendant toute la Guerre froide que se démocratise l’usage des drones à des fins militaires. La période est alors propice au développement d’engins guidés à distance, qui connaissent un essor à partir de la création des V1 et V2 sous l’Allemagne nazie dès 1938. L’armée américaine a ainsi eu recours à des drones pendant les guerres de Corée et du Vietnam, pour les missions de reconnaissance et de surveillance. Ce n’est que dans les années 1990 qu’apparaissent les premiers drones armés, utilisés pour la première fois pendant la guerre Iran-Irak, et fruits de la doctrine de la guerre « zéro mort » portée par le gouvernement américain dans les années 1980, à la suite du traumatisme de la guerre du Vietnam. 

Les drones de combat sont désormais des armes incontournables sur tous les terrains de guerre du monde. Précurseurs dans le domaine, les Etats-Unis ont massivement eu recours à des drones tueurs dans le cadre de la lutte antiterroriste. Aujourd’hui, dans le cadre de la guerre en Ukraine, les drones occupent une place toute particulière. L’armée ukrainienne en est même devenue une spécialiste. En juillet 2022, le gouvernement ukrainien a lancé le projet Army of drones, visant à encourager l’achat de drones, permettre la formation de pilotes et la réparation d’engins endommagés. De 80 entreprises à l’automne 2022, le nombre de productions dépasse aujourd’hui les 200 dans le pays, dont l’armée utilise quelques 50 modèles de drones différents.


…des usages multiples…

Petits, furtifs et difficilement atteignables par les systèmes de défense ennemis, les drones sont principalement utilisés pour trois usages distincts sur le champ de bataille. Les drones de reconnaissance ou de surveillance permettent de repérer les positions et les mouvements ennemis, et désignent des cibles aux forces aériennes. La France s’en est dotée de tout un système : les drones de reconnaissance qui constituent le système de mini-drones de reconnaissance (SMDR) disposent d’une portée pouvant aller jusqu’à 30 km, et sont employés à des fins tactiques sur le champ de bataille. Ces drones peuvent voler par temps de pluie et résister à des températures allant de -10°C à 49°C. Les drones utilisés pour les missions de reconnaissance peuvent également être issus du commerce, équipés de caméras et dont les logiciels sont modifiés pour les rendre incognito, de telle sorte que la position du pilote ne soit pas révélée dans le cas où le drone tomberait entre les mains ennemies. Ce dispositif est particulièrement employé par l’armée ukrainienne dans sa guerre contre la Russie.

Les drones de ravitaillement permettent de faire parvenir de petits objets pour permettre des ravitaillements express, en armes, en nourriture, en équipements, à des unités sur le champ de bataille ou à des populations civiles ou bataillons assiégés. La capacité de ces drones de transport ne cesse d’augmenter. Le drone Condor, développé par la société française DAE, permet de transporter des charges allant jusqu’à 300 kilos. Catapulté depuis un véhicule terrestre ou aérien, il peut atteindre des vitesses allant jusqu’à 600 km/h avec une autonomie de 400 km. 

Les drones de combat, équipés de missiles ou d’engins explosifs, permettent des attaques éclairs, sans engager la vie d’un pilote ou le coût d’un avion de chasse. Utilisés pour la première fois lors de la guerre Iran-Irak, lorsque l’armée iranienne a équipé des Qods Mohajers de roquettes RPG-7, ceux-ci ont connu un essor rapide depuis le début des années 2000, en particulier dans le cadre de la lutte antiterroriste américaine sous la présidence Obama. Leur représentant le plus iconique est sans doute le Predator, développé par les Etats-Unis dès 1995. Celui-ci peut porter jusqu’à six missiles et dispose d’une autonomie de 18h. Les drones-suicides ou « drones kamikazes », constituent quant à eux une catégorie à part, puisqu’ils constituent eux-mêmes la munition principale. 


…et un avenir radieux

Les avancées en recherche et développement ne cessent de progresser pour proposer des drones militaires toujours plus performants, ou pour rendre l’usage des drones militaires toujours plus efficace. Airbus a récemment développé un système permettant de ravitailler les drones en plein vol, quand Naval Group et KNDS (anciennement Nexter) ont récemment testé, conjointement avec la start-up française Icarus Swarms, les possibilités offertes par les essaims de drones à usage militaire. Une vidéo publiée sur YouTube en septembre 2023 montre comment un essaim de cent drones peut permettre de brouiller les systèmes de défense d’une base ennemie. Les armées cherchent également à se munir de systèmes permettant de lutter contre ces nouvelles formes de menaces. En janvier dernier, le Royaume Uni a testé avec succès une arme laser contre des cibles aériennes, dans le cadre de son programme DragonFire. Israël, avec l’Iron Beam, la France avec le dispositif anti-drones Helma-P ou encore la Russie dont le système Peverest serait en mesure d’abattre un drone à 5 km de distance, participent également à cette course aux armes à énergie dirigée, au sein de laquelle les Etats-Unis conservent une longueur d’avance. 

On l’aura compris, le drone à usage militaire semble avoir un avenir radieux. Sur la période 2021-2029, le marché du drone représente 38,7 milliards de dollars. Il faut dire que le drone a un coût… Pour ce qui est des drones américains Predator, l’unité coûterait entre 3,5 et 4,5 millions de dollars, auxquels il faut ajouter le coût de la station sol de téléopération par satellite. Pour les Etats pouvant se le permettre, cela reste une opportunité à saisir… à condition de savoir surmonter la contrainte technologique. Il reste néanmoins largement plus abordable que n’importe quel avion à usage militaire, au point que des organisations terroristes comme Daech ou le Hezbollah ont pu s’en doter. 

Historiquement leaders sur le marché des drones de combat, les Etats-Unis et Israël doivent aujourd’hui faire face à l’émergence de nouveaux pays qui se spécialisent en la matière, à l’image de la Chine ou de la Turquie. Le drone Bayrakter TB-2 développé par cette dernière est massivement utilisé depuis le début de la guerre en Ukraine. Ce drone « low cost » est même allé jusqu’à s’imposer dans la pop culture ukrainienne, plusieurs chants ayant été composés pour lui rendre hommage. En dépit de son important complexe militaro-industriel, la France apparaît quant à elle en retard en matière de développement des drones de combat. Et pour cause, ce n’est qu’en 2019 que celle-ci a décidé d’armer ses drones, après avoir annoncé à plusieurs reprises qu’elle ne le ferait pas. Au-delà d’un retard capacitaire, c’est donc un retard doctrinal qu’accuse aujourd’hui la France en matière d’usage de drones militaires. 



Devenue ainsi incontournable dans tous conflits armés, l’utilisation des drones militaires soulève aujourd’hui des questions éthiques. Les recours à des drones de combat par la CIA au Waziristan, au Yémen ou en Somalie en ont d’ores et déjà fait la « figure aérienne du mal ». Et si, pour le moment, les drones ne sont pas des armes autonomes, mais semi-automatiques, telles que l’homme demeure encore au cœur de leur engagement, le développement à grande vitesse de l’intelligence artificielle risque de leur faire encore gagner en autonomie, en précision et en létalité. Craignant de voir des armes décider elles-mêmes de la vie ou de la mort de soldats, l’ONU a déjà tenté à plusieurs reprises d’encadrer l’utilisation des drones à usage militaire, en vain, et ne se contente donc pour l’instant que de dénonciations de « manque de transparence » dans les usages de drones armés, en ciblant l’armée américaine tout particulièrement.


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