Les horreurs de la guerre civile au Soudan : un sombre tableau de la violence et de l'impunité
- Augustin Bodoy
- 29 févr. 2024
- 5 min de lecture
Le 15 avril 2023, un conflit armé éclate au Soudan, fruit des différends entre le général Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’Etat de facto depuis le coup d’Etat militaire de 2019 et président du Conseil de souveraineté de transition, et Mohamed Hamdan Dogolo, dit “Hemetti”, vice-président de ce même conseil et chef des forces paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR). Aujourd’hui, la lutte pour le pouvoir se poursuit à Khartoum, dans le sud et dans l’ouest du pays, faisant des civils les premières victimes d’une guerre oubliée des médias et de l’Occident.

Une famille soudanaise assise à côté de ses affaires à Adré au Tchad, à la frontière avec le Soudan, le 26 juillet 2023.
Un déchaînement de violences dont les civils sont les premières victimes
Le 23 février dernier, les Nations Unies ont annoncé que les combats entre l’armée soudanaise et les Forces de Soutien Rapide ont fait 13 900 morts depuis le déclenchement du conflit le 15 avril 2023, dans un communiqué du Bureau des Affaires des Nations Unies (OCHA). Le ministère de la Santé soudanais fait quant à lui état de près de 27 700 blessés depuis le début de la guerre.
Les affrontements ont plongé le pays dans une situation de violente crise humanitaire. Le conflit a obligé près de 8,1 millions de Soudanais à fuir leur domicile, dont 1,8 millions ont trouvé refuge dans les pays voisins. L’accès aux ressources alimentaires est également fortement compromis pour une immense partie de la population. Outre la perturbation des activités agricoles dans les régions touchées par le conflit, le coût élevé des intrants agricoles (graines, engrais, outils) et de la main-d’œuvre exacerbe l’insécurité alimentaire. Eddie Rowe, directeur du Programme Alimentaire Mondial (PAM) au Soudan affirme que le pays est “au bord de l’effondrement”, alors que “moins de 5%” des 48 millions d’habitants ne peuvent pas s’offrir un repas complet.
L’armée soudanaise comme les Forces de Soutien Rapide se sont également révélées coupables d’exactions à l’encontre de la population civile. Le communiqué publié par les Nations Unies révèle que “les deux camps ont mené des attaques aveugles dans des zones densément peuplées” entre septembre et décembre 2023, touchant certains sites de déplacés. Le rapport fait également état de plusieurs cas de violences sexuelles, en recensant 118 au moins, dont certains ont été commis sur des enfants. Celui-ci avance enfin des preuves crédibles de massacres ethniques, notamment dans l’Etat du Kordofan du Nord par l’armée régulière, où plusieurs hommes auraient été décapités en raison de leur origine ethnique.
Les échecs successifs de médiation et le jeu des puissances étrangères
Depuis le 15 avril 2023, les sommets se sont enchaînés sans pouvoir aboutir à une quelconque solution négociée ou à un cessez-le-feu. Lors du dernier en date, organisée exceptionnellement par l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), rassemblant sept pays d’Afrique de l’Est, le 18 janvier 2024, le général Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée, n’a pas participé. Son adversaire, le général Hemetti, était lui bien présent, et marque des points auprès des pays de la région qui craignent l’afflux de réfugiés sur leur territoire national et une régionalisation du conflit. Celui-ci s’est dit prêt à des négociations élargies, comptant sur le sommet pour “changer l’image du Soudan”. Les deux belligérants ne semblent cependant pas vouloir renoncer à l’idée d’une victoire totale sur leur adversaire.
Bien qu’il passe au second plan au vu des conflits en cours en Ukraine et en Israël, le conflit soudanais inquiète également au-delà du territoire soudanais et de ses pays limitrophes. Premier producteur mondial d’or, riche en minerais, disposant d’un fort potentiel agricole et situé au carrefour du Golfe, de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne, le pays suscite bien des convoitises. La Russie, qui soutient les Forces de Soutien Rapide, puisque celles-ci aident le groupe Wagner à entrer dans le cœur de l’Afrique, peut profiter de ce conflit pour étendre son influence sur le continent. L’Egypte, premier soutien de l’armée gouvernementale et de Abdel Fattah al-Burhan, soutenue par les Etats-Unis qui craignent un éclatement du Soudan comparable à l’expérience libyenne, a tenté à plusieurs reprises de se positionner en médiateur dans le conflit, en vain. Le pays est en effet, avec ses 1 300 km de frontière commune avec le Soudan, en première ligne du chaos qui s’y déroule.
Les pays du Golfe, quant à eux, occupent des positions plus ambivalentes. Hemetti est vu comme l’homme des Emirats arabes unis, plus grand investisseur dans le pays parmi les pays du Golfe, qui comptent sur les réseaux du FSR pour accroître encore leur influence. Hemetti a également su s’accorder les bonnes grâces de l’Arabie Saoudite pour avoir fourni un contingent de 30 000 à 40 000 hommes à la coalition arabe ayant lutté contre les rebelles Houthis en 2015. L’Arabie Saoudite dispose cependant également de liens avec le général al-Burhan via l’Egypte.
La possibilité d’un gouvernement dirigé par des civils, encore et toujours une chimère
En avril 2023, quelques jours après l’éclatement du conflit, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken appelait à la reprise des pourparlers, déclarant que ceux-ci “étaient très prometteurs, mettant le Soudan sur la voie d’une transition complète vers un gouvernement dirigé par des civils”. Aujourd’hui, ces espoirs paraissent inaccessibles. Symbole que la situation, loin de s’être améliorée, est plus critique que jamais, les Etats-Unis ont nommé ce mardi 27 février un envoyé spécial pour le Soudan. L’ancien conseiller du procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Tom Periello, est ainsi chargé de “coordonner la politique américaine envers le Soudan” en faisant progresser les efforts de Washington pour mettre fin aux hostilités, en facilitant l’aide humanitaire et “en aidant le peuple soudanais à réaliser ses aspirations à la liberté, à la paix et à la justice”.
Le rêve de revoir un gouvernement civil à la tête du Soudan avait pourtant été effleuré du bout des doigts à partir d’octobre 2021, lorsque les militaires ont repris le pouvoir, renversant le gouvernement intérimaire dirigé par Abdallah Hamdok. Le président Omar el-Bechir, à la tête du pays depuis plus de trente ans, avait déjà été contraint de se retirer du pouvoir en 2019 à la suite de la “révolution soudanaise”, une série de manifestations et d’épisodes de désobéissance civile qui se sont déroulées entre 2018 et 2019 pour protester contre la vie chère. Les populations civiles, déjà victimes de la guerre du Darfour entre 2003 et 2011, qui a abouti à la sécession du Soudan du Sud, ont alors pu espérer l’avènement d’une véritable démocratie soudanaise. Peu après leur coup d’Etat, les militaires ont accepté de transférer l’autorité à un gouvernement dirigé par des civils, en établissant un accord formel dont l’échéance était prévue pour le 6 avril 2023. Après avoir été retardée, l’espoir de voir cette promesse réalisée est aujourd’hui compromis par l’affrontement que se livrent les deux factions militaires.
Plus que jamais, et après près d’un an de guerre civile, “les Soudanais veulent que les militaires rentrent dans les casernes. Ils veulent la démocratie. Ils veulent un gouvernement dirigé par des civils”, selon les mots d’Antony Blinken, quelques jours après le début du conflit. “Le Soudan doit retrouver sa voie”.







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