Tunisie : la répression contre les migrants s’intensifie
- Iara Moeykens
- 21 mai 2024
- 3 min de lecture
Plongée dans une véritable "chasse aux migrants", la Tunisie de Kaïs Saïed a dernièrement expulsé plusieurs centaines d'hommes et de femmes originaires d'Afrique de l'Est et de l'Ouest vers les frontières du pays.

Plongée dans une véritable "chasse aux migrants", la Tunisie de Kaïs Saïed a dernièrement expulsé plusieurs centaines d'hommes et de femmes originaires d'Afrique de l'Est et de l'Ouest vers les frontières du pays.
La radicalisation du discours politique
En février 2023, le président tunisien Kaïs Saïed désignait les « hordes de migrants clandestins » comme complices d’un complot ayant pour but de modifier l’identité arabo-islamique du pays. Il a aussi répété « aux chefs d’Etat » et « au monde entier » que « la Tunisie n’est pas une terre pour installer ces gens et qu’elle veille à ce qu’elle ne soit pas également un point de passage pour eux vers les pays du nord de la Méditerranée ». Ainsi, tout en refusant d’accueillir les migrants, les autorités tunisiennes continuent de les empêcher de rejoindre l’Europe moyennant un soutien financier et logistique de l’Union européenne. Entre le 1er janvier et le 15 avril 2024, 21 270 migrants ont ainsi été interceptés en mer par la Garde nationale, contre 13 903 sur la même période en 2023, un nombre d’interception en forte hausse qui interpelle étant donné que l’ONG soulignait dans un rapport publié lundi dernier que le nombre de migrants sans papiers traversant la Méditerranée avait diminué.
Des expulsions qui se multiplient
Face à un discours politique se radicalisant, les autorités tunisiennes ont opéré un virage sécuritaire dans la gestion des migrants africains subsahariens : multiplication des mandats de dépôts ( près de 80 ont été émis à l’encontre des personnes arrêtées au cours du weekend du 4 mai ), expulsions de plusieurs centaines d’hommes, femmes et enfants originaires d’Afrique de l’Ouest ou de l’Est. Cette évacuation coordonnée et de large ampleur fait suite à d’autres opérations similaires la semaine passée dans la région de Sfax ( capitale économique du pays ) où l’on dénombre plus de 20 000 campements illégaux.Le 3 mai dernier, les agents des forces de l’ordre ont procédé au démantèlement par la force de campements de migrants. Ceux-ci étaient installés en face du siège de l’OIM, l’Organisation internationale pour les migrations, et devant le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Trois jours plus tard, le 6 mai, le président Kaïs Saïed a reconnu lors d’un conseil de sécurité certaines expulsions collectives menées par les autorités tunisiennes. Ce dernier a même précisé que 400 personnes avaient été renvoyées vers la frontière orientale en coordination continue avec les pays voisins ( Algérie, Lybie ) et le gouvernement italien de Giorgia Meloni.Cette répression sévère surprend, les témoins indiquent que les migrants étaient calmes, qu’ils n’avaient agressé personne et qu’ils dormaient dehors dans l’attente d’une assistance de l’OIM pour un retour volontaire. Ils attendaient simplement d’être rapatriés.
Les organisations d’aides aux migrants attaquées
Néanmoins, la répression semble depuis peu s’être intensifiée puisqu’elle s’est dernièrement élargie aux organisations de la société civile. Les autorités tunisiennes ont désormais dans leur viseur les membres des organisations de défense des droits des migrants. Ainsi, Sherifa Riahi, l'ancienne directrice de la branche tunisienne de France Terre d'Asile (FTDA), a été placée en garde à vue pour cinq jours et Saadia Mosbah, une activiste tunisienne noire et une figure de la lutte antiraciste en Tunisie en tant que présidente de Mnemty ( association combattant les discriminations raciales ) a été arrêtée sur la base d’une loi relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent. Cela faisait plus d’un an déjà qu’elle se montrait critique envers les politiques anti-migrants du président. Le président et le vice-président du Conseil tunisien des réfugiés (CTR) ont eux aussi été arrêtés et placés sous mandat de dépôt à l’issue de leur garde à vue. Ils sont accusés d’« associations de malfaiteurs dans le but d’aider des personnes à accéder au territoire tunisien » et d’aide à l’hébergement de migrants en situation irrégulière, alors même que cette organisation assiste le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dans l’enregistrement des demandeurs d’asile, avec l’aval des autorités en l’absence de loi encadrant le droit d’asile en Tunisie.
A cet égard, Salsabil Chellali, directrice du bureau de Human Rights Watch à Tunis, déplore une répression « tous azimuts des populations noires migrantes qui continuent de subir des abus systématiques de leurs droits ». Selon elle, les autorités veulent faire peur aux associations qui mènent des actions pour atténuer un tant soit peu la souffrance des migrants et demandeurs d’asile. Dans une perspective plus large, l’approche sécuritaire choisie par l’Union européenne est décriée dans un contexte de préoccupations accrues sur l’immigration à l’approche des élections parlementaires de l’UE en juin.
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